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sensitif et appétitif, n’en est pas moins déjà la finalité à son début. Il est faux de dire : ignoti nulla cupido, puisque l’être aspire d’abord sans connaître l’objet de son aspiration.

Quelle est la nature, quel est le but dernier de la finalité interne et immanente, du désir inassouvi qui meut l’être ? Voilà un nouvel objet de la philosophie, pour laquelle la recherche des fins est étroitement liée à la recherche des causes. Cet objet est plus que jamais en dehors des sciences positives. La philosophie seule est une recherche des fins immanentes, de l’idéal pressenti ou prévu qui se réalise lui-même en se concevant et en se désirant. En d’autres termes, pour parler la langue que nos contemporains affectionnent, la philosophie est la recherche des plus hautes valeurs, — Platon eût dit : des idéaux les plus élevés que puissent poursuivre la pensée et le désir.

En même temps qu’une psychologie amplifiée et généralisée, la philosophie est une sociologie à portée universelle. Il se produit, chez les êtres en société, des phénomènes originaux que la simple psychologie n’eût pas fait prévoir, pas plus que la physique ne fait prévoir la chimie. Les rapports sociaux étant les plus élevés de tous et se retrouvant dans les diverses manifestations de la vie, depuis les sociétés animales jusqu’aux sociétés humaines, leur étude peut jeter un jour nouveau sur les lois mêmes de l’évolution universelle. C’est ici qu’il faut dire avec Comte : l’inférieur se comprend par le supérieur.

Pour résumer tout ce qui précède, la philosophie doit être désormais conçue, selon nous, comme la volonté de la conscience s’efforçant de saisir par la pensée l’être réel, dans son individualité et son universalité, avec ses qualités essentielles, son changement évolutif, sa causalité active et sa finalité tout interne. Or, réalité, qualité, changement, causalité, finalité, tout cela ne saurait être appréhendé comme existant que dans la conscience, et affirmé comme vrai que par l’acte de la pensée. Si l’on admet ces diverses propositions, — et elles sont incontestables, — on admet que la philosophie aura toujours un objet différent de celui des sciences positives. La conception scientifique de la nature appellera donc toujours, comme nécessaire complément, une interprétation philosophique de l’univers, qu’elle ne saurait jamais remplacer.

Quant à la question de savoir jusqu’à quel point la philosophie pourra ou ne pourra pas atteindre son but propre, cette