Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la considération de l’activité qui l’explique. Nous aborderons ainsi une catégorie nouvelle et importante : celle de la causalité. La science positive s’en tient aux lois extérieures et superficielles du changement, c’est-à-dire : 1° aux formules purement quantitatives (mathématiques et mécaniques) ; 2" aux formules purement empiriques de « concomitance » ou de « séquence « dans l’espace et dans le temps. Non seulement la science ne cherche pas une source première d’où descendrait le torrent des phénomènes, mais, dans ce torrent même, elle se borne à constater l’ordre selon lequel les flots coulent, puis à soumettre au calcul la régularité qui se cache sous les sinuosités du cours.

Pour cela, la science n’a à sa disposition que deux données : la masse des élémens et la nature de leurs mouvemens. Or, elle ne pourra jamais tirer de là une explication vraiment causale. En effet, la masse scientifiquement considérée n’est encore elle-même qu’une formule de mouvemens possibles, en résistance à d’autres mouvemens possibles ; les « élémens » matériels ne sont que des arrêts provisoires dans la régression à l’infini, et on les formule géométriquement pour en faire des atomes jusqu’à nouvel ordre indivisibles ; enfin la nature des mouvemens ne consiste qu’en leur vitesse, en leur direction, en leur composition, toutes choses d’ordre spatial et temporel qui se traduisent encore en pures formules.

Même dans l’ordre biologique, le savant ne peut, pour ainsi dire, que tâter le pouls à la réalité vivante, compter les battemens, en mesurer l’intensité et le rythme, exprimer le tout par un graphique ; mais il n’a pas à rechercher la force cachée qui anime l’organisme ; il n’essaie pas de saisir la vie dans sa causalité mystérieuse.

Le philosophe, lui, à ses risques et périls, doit se poser le grand problème de la production et de l’activité vraiment causale. Au delà du monde vulgaire des apparences sensibles, au delà du monde scientifique des lois abstraites, le philosophe a pour tâche de pénétrer et d’interpréter un troisième monde, le seul véritable, celui des activités réelles. Or, ces activités, il ne pourra jamais se les représenter que par analogie avec l’unique espèce de causalité que nous puissions prendre comme en flagrant délit d’action, à savoir la nôtre, qui se révèle à soi dans la volonté inhérente à notre être. C’est là que le réel palpite