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la qualité sensible du rouge, ce n’est nullement ce que nous éprouvons et sentons en présence d’une rose vermeille ; c’est 1° le rapport physiologique entre notre impression et ses objets ; 2° les rapports physiques des objets entre eux. Et, par objet, le physicien n’entend toujours que des ensembles de relations, isolées des autres pour notre organisme et acquérant ainsi une certaine indépendance objective.

Il s’ensuit que la qualité, comme telle, échappe à la science positive ; celle-ci roule sur ce que Stuart Mill appelle des faits de « séquence » et sur des quantités ; elle ne se sert ou ne devrait jamais se servir des qualités que provisoirement, comme symbole de rapports non encore analysés et de quantités non encore calculées.

Le philosophe, au contraire, s’installe dans le monde des qualités, soit réelles, soit idéales. Pour lui, la qualité est la manifestation propre de l’existence ; l’être sans qualités est égal au non-être. Le philosophe ramène la quantité elle-même à une espèce de qualité, la plus pauvre de toutes. Aussi est-ce par les qualités essentielles qu’il définit l’être, de manière à caractériser ainsi ce qu’il a d’individuel, tout en dégageant les qualités communes qui le rattachent aux autres êtres.

Il est à remarquer que la qualité n’est jamais immobile et, pour parler le langage d’Auguste Comte, « statique. » Elle est toujours « dynamique » et en voie de changement. L’être, avide de la variété et de l’accroissement, a une tendance perpétuelle à passer d’un certain mode de qualité à un autre, et d’une conscience plus pauvre à une conscience plus riche ; c’est cette tendance interne, cette volonté de conscience, qui est le vrai principe de l’évolution. Elle est « l’évolution en train de s’accomplir » par contraste avec « l’évolution accomplie » et toute faite, que la science positive étudie. Son étude n’est donc plus du domaine de la science positive, qui ne considère que les résultats ; seule, la philosophie étudie le mouvement interne de l’évolution et montre que, en dernière analyse, ce mouvement est de nature psychique. Il est l’inquiétude de l’être qui s’agite en vue du mieux, qui aspire à la conscience croissante et plus pleine. La seule évolution véritable, celle qui est en train de se faire et non toute faite, ne se constate que dans l’existence consciente.

De la considération du changement évolutif, passons maintenant