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doit pas rester confinée dans l’étude du moi, elle doit être, selon nous, une psychologie étendue à l’univers. A la différence de la science positive, elle ne se borne pas à considérer les différens êtres du dehors et à les interpréter dans ce qui n’est pas eux ; elle cherche à s’unir par la pensée avec l’être de tous les êtres, à nous faire prendre conscience d’eux et, conséquemment, à reproduire en nous par induction, par analogie, par représentation concrète, leur vie intérieure. La science se contente, dans le grand bal masqué de l’univers, de noter du dehors les costumes et de dénombrer les figures de danse ; la philosophie s’efforce de lever les masques, d’atteindre les visages et surtout les cœurs. Elle prend, pour ainsi dire, la place de tous les autres êtres, hommes, animaux, plantes, minéraux, et cherche à pénétrer leur existence immanente, leur développement interne ; elle est, encore un coup, la psychologie universelle.


Nous venons de comparer l’interprétation philosophique et l’interprétation scientifique par rapport aux deux grands points de vue de l’être et de la pensée ; comparons-les maintenant par rapport aux grandes idées de la quantité, de la qualité, de la causalité et de la finalité ; nous verrons s’accuser encore le contraste.

La quantité, avec son expression spatiale ou numérique, est l’objet propre de la science positive, qui s’efforce de tout ramener aux lois de la quantité dans l’espace et dans le temps. La philosophie ne s’occupe de la quantité que pour rechercher l’origine et la valeur de cette idée, que pour se demander si elle est applicable à toutes choses ou si elle doit être restreinte aux choses matérielles.

Nous avons toujours, pour notre part, conçu la qualité comme essentiellement « psychique, » On parle bien de qualités physiques, comme la chaleur ou la lumière ; mais ce qu’il y a de qualitatif dans la chaleur, ce qui, à ce point de vue, la distingue de la lumière, c’est la sensation qu’elle nous fait éprouver. Supprimez nos sensations, qui ne sont pas des objets de la physique, il ne reste plus que des mouvemens auxquels, pour les distinguer et les classer, nous donnons les noms subjectifs de chaleur, lumière, son, etc. Dans la couleur rouge, qu’est-ce que la science positive considère ? Ce n’est nullement.