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pouvoir l’atteindre en sa sphère propre, la science elle-même. Supposez achevée l’optique, elle ne suffira pas pour donner à un Saunderson, outre la connaissance parfaite de toutes les lois de la lumière, la conscience de la lumière, du bleu, du rouge, du vert et de leurs nuances. On ne peut pleinement connaître une sensation sans l’éprouver. La science ne peut donc être une connaissance complète du réel sans la conscience, parce que tous les élémens de la connaissance sont, en dernière analyse, des faits de conscience et tous les élémens de la réalité connaissable des faits révélés à la conscience. Mais, dans l’avenir comme par le passé, la conscience ne pourra jamais être appliquée à l’interprétation du réel que par une étude qui domine toutes les sciences objectives : la philosophie.

La science dite positive d’un objet cherche ce qui constitue, non pas sa réalité propre, mais seulement ses relations. La philosophie essaie et essaiera toujours de connaître l’objet lui-même. Si je ne vous ai jamais vu, mais qu’on m’énumère toutes les personnes avec lesquelles vous êtes en relation et la nature de vos rapports avec tout votre entourage, je ne dirai pas pour cela que je vous connais. C’est pourtant de cette manière que le chimiste, par exemple, connaît l’atome d’hydrogène, comme étant dans telle relation avec celui d’oxygène, avec celui de chlore, etc. La science, qu’on nomme positive, qu’on devrait appeler relative et idéale, n’est qu’une connaissance partielle de rapports partiels séparés de l’ensemble, qu’elle s’efforce de ramener finalement à des rapports logiques et mathématiques dans l’espace et dans le temps. Alors même que la science parle de termes, plantes, animaux, hommes, etc., elle ne désigne encore par là que des ensembles complexes de relations dont le fond reste en dehors de sa sphère.

La philosophie, au contraire, a plus que jamais pour tâche de poursuivre les termes concrets entre lesquels s’établissent les rapports abstraits ; elle doit être essentiellement la recherche du réel et de l’existant ; soit qu’elle puisse, soit qu’elle ne puisse pas atteindre complètement son but, elle va vers lui, elle est mue par l’idée-force de réalité ultime, et c’est là, pour l’esprit humain, la plus puissante, la plus irrésistible de toutes les idées. Jamais on n’empêchera l’esprit de se poser cette question : qu’est-ce qui est réel ?

La science positive, à notre époque, est justement fière de