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LA TÂCHE ACTUELLE DE LA PHILOSOPHIE[1]

La situation présente de la philosophie n’est pas sans quelque ressemblance avec l’état critique où elle se trouvait à l’époque de Socrate et de ses disciples.

Les personnages qui occupaient alors la scène se divisaient en deux chœurs principaux, celui des physiciens ou « physiologues, » celui des sophistes, sans compter celui des « mythologues, » partisans des croyances traditionnelles ou chercheurs de symboles nouveaux. Les physiologues s’absorbaient dans l’étude de la nature et ne connaissaient guère, pour l’interprétation du monde, que les élémens matériels ou leurs rapports mathématiques. Les sophistes, déclarant que l’homme est « la mesure de toute chose, » battaient en brèche l’idée de « vérité, » pour y substituer l’utilité pratique ou la coutume sociale. — Aujourd’hui, le rôle des physiologues est tenu par nos savans positivistes, celui des sophistes, par nos pragmatistes, qui d’ailleurs se réclament eux-mêmes de Protagoras et déclarent la guerre à Platon.

D’un côté, donc, toute réalité semble s’évanouir dans les phénomènes extérieurs et mécaniques ; de l’autre, toute vérité

  1. L’article que nous publions avait été destiné à la Revue des Deux Mondes, par M. Fouillée, qui avait commencé à le préparer peu de temps avant sa mort. Il est extrait de l’Introduction du livre posthume : Esquisse d’une interprétation du monde, qui paraîtra incessamment dans la collection de la Bibliothèque de philosophie contemporaine éditée par la librairie Félix Alcan. C’est dans la même collection qu’est parue tout récemment, sous le titre : la Philosophie et la Sociologie d’Alfred Fouillée, une remarquable étude consacrée à la biographie et à l’ensemble de l’œuvre de l’éminent philosophe par son fils adoptif, M. Augustin Guyau, fils de l’auteur des livres bien connus : la Morale sans obligation ni sanction, — l’Irréligion de l’avenir, — les Vers d’un philosophe, etc., J. M. Guyau.