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n’ont donc besoin ni de fichu, ni de boa, ni de rien, ce qui fait qu’on viendra chez moi plus souvent et surtout avec plus de plaisir.

Au dernier concert à la Cour, je me suis trouvé debout à côté du Roi ; le dey d’Alger se trouvait non loin de nous.

— C’est incroyable, me dit Sa Majesté, tout ce qu’on voit de nos jours : voilà le dey d’Alger à la Cour du Roi de France.

— Je viens de faire la même réflexion, Sire.

— Peut-être, continua Sa Majesté, dira-t-il comme le doge de Gênes à Louis XIV : « Ce qui m’étonne le plus, c’est de m’y voir. »

Je souris et me tus. Le ministre d’Argout, meilleur courtisan que moi, prit la parole et dit au Roi :

— Le doge de Gênes avait raison de le dire, mais quelle différence entre le siècle despote de Louis XIV et celui d’aujourd’hui ! Les étrangers voient chez nous des choses bien plus utiles et plus étonnantes que le château de Versailles. Je crois donc que le dey d’Alger n’a jamais dit et pas même pensé pareille chose.

— Je l’espère, dit le Roi avec un air satisfait.

Et l’on changea de conversation.

Le dey d’Alger avait avec lui, outre son interprète, un homme grand, à larges épaules, à la figure noire, sévère et pittoresque. L’interprète nous dit que c’était le Bourreau honoraire du dey.

En fait de personnages curieux, il y avait encore, à ce concert, l’envoyé de Tunis, avec sa grande couverture de laine blanche, dans laquelle il est enveloppé de la tête aux pieds, et son neveu, charmant garçon de dix à douze ans avec des yeux noirs de toute beauté.

J’ai passé hier, dans la matinée, chez Mme de Loulé[1]. Elle me parla beaucoup de l’expédition prochaine de son frère contre le Portugal ; elle me dit que leurs correspondans de Lisbonne n’avaient aucun doute sur la réussite de cette expédition.

— En cas de succès, à quel parti s’arrêtera l’Empereur ? demandai-je à la marquise. Sera-t-il régent, co-régent ou bien prendra-t-il la couronne de sa fille ?

  1. Fille de Jean VI roi de Portugal ; née en 1806, elle avait épousé, en 1827, le marquis de Loulé, fils du ministre qui avait été assassiné en 1823, lors de la révolte fomentée par Dom Miguel contre le Roi son père, à l’instigation de sa mère.