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être reçu bien chaudement. Mais la place était si grande que les voix ne pouvaient arriver jusqu’à lui ; il devina l’enthousiasme du peuple plutôt par les gestes que par les cris de : « Vive le Roi ! » qui furent poussés, mais qu’on ne distinguait pas dans cette formidable rumeur.

Dans la cohue qui précédait et suivait le Roi, se trouvaient les héros des Glorieuses et, parmi eux, des gens de mine épouvantable, des poissardes, des filles de joie décorées de la croix de Juillet. Ces gens se donnaient le bras et formaient des chaînes de douze à vingt personnes, qui séparaient le Roi de ses aides de camp et chantaient la Marseillaise et la Parisienne. Dom Pedro était à la gauche de Sa Majesté, puis les Ducs d’Orléans et de Nemours, les maréchaux et les ministres.


29 juillet. — Les fêtes continuent aujourd’hui ; ce sont des réjouissances sans fin. J’ai été surtout frappé par la fête d’hier soir aux Champs-Elysées ; c’était vraiment superbe par son immensité. Tous les quinconces étaient éclairés à jour car chaque arbre était entouré de lampions, outre les festons de lampes qui enchaînaient pour ainsi dire avec des guirlandes de feu un arbre à l’autre. En y entrant, j’ai cru me trouver dans une de ces forêts enchantées dont on parle dans les contes de fées. Une foule innombrable de curieux la parcourait dans tous les sens ; ici, on voyait des théâtres superbes érigés comme par un coup de baguette sur une vaste pelouse ; on y représentait toute espèce de pièces, la plupart guerrières, avec force fusillades et coups de canon ; là, on admirait de belles salles improvisées sous de larges tentes resplendissantes de quinquets, où se pressait une population joyeuse dansant et mangeant tour à tour, sans que cela eût l’air d’une orgie ; les hommes étaient polis avec les femmes ; ils y mettaient même plus de recherche, plus de façons que nous ne le faisons dans nos salons dorés pour inviter les jeunes personnes à la danse.

Un jeune homme, qui se trouvait à côté de moi, dit à son voisin :

— Connais-tu cette particulière qui est vis-à-vis de moi ; elle est très jolie, je m’en vais l’engager.

Je le suivis ; il fit quantité de révérences et puis mille excuses, à cause de sa hardiesse, et l’engagea enfin avec une phrase fort extraordinaire que malheureusement j’ai oubliée.