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de Castel-Cicala, ni Mlle Ruffo sa fille ne voulurent profiter de mon balcon.

Cependant la Reine arriva, Dom Pedro lui donnant le bras. Les portraits de l’Empereur lui ressemblent assez. Je le croyais plus grand de taille et je fus fort étonné de voir qu’il ne l’était pas beaucoup plus que Dom Miguel. Il a bonne tournure malgré cela ; il avait l’air un peu embarrassé en parlant, avec les dames surtout. La Reine, en entrant, lui présenta à peu près toutes celles qui se trouvaient dans la salle ; l’Empereur les salua assez bien, mais leur parla peu ou rien. Lorsque la Reine lui présenta le général de La Fayette, il parut en éprouver le plus vif plaisir ; il lui fit complimens et révérences sans fin et prit un air amical avec lui comme s’il l’avait connu autrefois.

Aujourd’hui, j’ai circulé dans Paris. J’ai vu les portes des églises tendues de noir. On y célébrait le service des morts pour les victimes de Juillet. La lettre de l’archevêque de Paris aux curés, dans laquelle il leur donne des ordres à cet effet, est excellente. Les églises étaient remplies de gardes nationaux et autres ; on jasait beaucoup, on tournait le dos à l’autel, c’était très peu édifiant. Le Panthéon, converti en temple, était tout rempli de tribunes, il fallait des billets pour y entrer. Un orchestre de 400 musiciens a exécuté toute espèce de musique religieuse et profane ; c’était dans le genre des concerts du Conservatoire.

Arrivé, à travers une foule de monde, jusqu’à la place de la Bastille, j’ai vu et admiré l’immense tribune qu’on y avait érigée pour le Roi, les députés, etc. Le monument dont le Roi posa la première pierre s’y trouvait figuré dans toute sa grandeur par des planches couvertes de toile peinte, représentant le marbre et le bronze, le tout fort bien imité et d’assez bon goût.

L’aspect de la foule immense était vraiment imposant ; le flux et le reflux de cette masse qui, par toutes les larges rues, se précipitait par torrens sur cette vaste place, avait quelque chose d’effrayant. Un mot eût été suffisant pour la mettre en mouvement, et on eût été impitoyablement écrasé, les portes des maisons étant barricadées par des échafaudages qui formaient des tribunes. Cependant, tout le monde avait l’air gai autour de moi ; on n’y parlait que de Dom Pedro, de Louis-Philippe et de la nouvelle légion de la garde nationale à la polonaise, dont on voyait quelques échantillons. Le Roi ne parut pas