Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voilà-t-il pas que le ministre des Affaires étrangères M. Sébastiani donne ordre à M. de Saint-Aulaire, ambassadeur de France à Rome, de demander au Pape le rappel de Mgr Lambruschini ? Sa Sainteté, à ce qu’il parait, en fut vivement piquée et fit déclarer par le cardinal secrétaire d’Etat à M. l’ambassadeur de France que Mgr Lambruschini était son ami personnel, qu’il ne demandait pas mieux que de l’avoir auprès de lui pour en faire son conseiller, mais que ce nonce avait été en tout l’exact organe de la cour de Rome et que tout autre tiendrait par conséquent le même langage et la même ligne de conduite. M. de Saint-Aulaire, malgré cette déclaration, insista sur sa demande, vu que ses ordres à ce sujet étaient précis. Il fut donc convenu que la cour de Rome ferait insinuer à son nonce à Paris de demander un congé en donnant pour motif une santé altérée. Le secrétaire d’État fit connaître à Mgr Lambruschini le désir de Sa Majesté le roi des Français, avec tous les détails de sa conversation avec M. de Saint-Aulaire, et il lui fut ordonné de demander un congé sous prétexte d’aller aux eaux.

Le nonce nous raconta dernièrement la conversation qu’il a eue avec M. le général Sébastiani à ce sujet. Tous les deux jouèrent la comédie on ne peut mieux ; ils se livrèrent à un véritable assaut de finesse. M. Sébastiani, après avoir écouté le récit de tous les soi-disant maux dont Mgr Lambruschini prétendait être accablé, feignit de prendre le plus vif intérêt à la santé de M. le nonce. Sa figure prit un air triste et compatissant, enfin un air tout à fait correct pour la circonstance. Le nonce lançait en attendant une pointe après l’autre contre le général, si bien que celui-ci ne savait pas s’il était le mystificateur ou le mystifié.

Après une conversation assez longue dans ce genre, le nonce finit en ces termes :

— Monsieur le comte, j’ai encore une dernière grâce à vous demander ; je vous serai infiniment reconnaissant si vous me l’accordez.

— Je serai très heureux d’être à même de faire quelque chose qui puisse être agréable à Monseigneur, répond le ministre.

Le nonce s’était profondément incliné, les mains jointes, les yeux baissés, enfin dans une attitude de suppliant ; il resta quelques instans dans cette position, puis il leva sa tête, mais le corps toujours encore courbé en avant, et avec ses yeux flamboyans,