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d’excellens orateurs ; l’un surtout a parlé pendant deux heures sans discontinuer. Il est impossible de mieux dire. J’y ai vu Cavaignac ; c’est un bel homme, il est un des conseillers. Les orateurs prouvaient jusqu’à l’évidence que le principe de la Révolution de Juillet, s’il était reconnu par les peuples, devait amener la chute de tous les rois ; que ce mot, roi, était un anachronisme impie en France depuis les glorieuses journées de Juillet.

De pareils discours se gravent en traits de feu dans la mémoire de tous ces jeunes gens qui viennent en foule. Etudians en droit et en médecine, ils retournent chez eux imbus de ces principes et y propagent ce poison. Les Espagnols et Italiens réfugiés présens étaient dans un enthousiasme difficile à peindre : ils trépignaient, ils s’embrassaient. Cela me fit frémir. On me fit remarquer un certain Cantelli, ex-officier italien, décoré de la Couronne de fer ; il boite ; c’est celui qui paraît avoir le plus d’influence sur ceux de sa nation. Ces gens-là espèrent toujours la guerre ; ils veulent rentrer dans leur pays avec l’armée française.

Il est encore fort question de piller les ambassades : l’Autriche, la Russie sont surtout désignées. Le comte Pozzo en a si peur qu’il compte partir pour l’Angleterre, sous prétexte d’aller voir une des grandes-duchesses qui s’y trouve avec Mme de Nesselrode. Rien ne m’amuse plus qu’un général poltron !

Un adjudant-major de la garde nationale, un chef de bataillon et un officier d’état-major disaient dernièrement à quelqu’un de ma connaissance :

— Nous aurons, entre autres besognes, celle de défendre l’accès des hôtels des ambassadeurs de Russie, d’Autriche et de Naples.

Le gouvernement cherche à prendre les mesures les plus énergiques pour se tirer d’embarras. Nous sommes à la veille d’une crise effroyable. Les armuriers ont eu l’ordre d’envoyer leurs armes hors de la ville ; la plupart l’ont fait ; il n’y a que les revendeurs des quais qui résistent à cet ordre et continuent leur commerce.

Il paraît que l’ouverture de la Chambre sera avancée de six semaines, le gouvernement craint de se trouver isolé au moment des troubles de Juillet. La troupe ne veut pas agir contre le peuple, c’est une résolution prise. Le prélude des scène tumultueuses doit être la délivrance de Lennox.