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en poussant des vociférations épouvantables contre la personne du Roi, ses ministres et contre le clergé. M. Casimir Perier, malgré sa grippe, fut obligé de rester sur pieds pendant toute la nuit, la chose devenait d’heure en heure plus sérieuse. Déjà, on parlait de piller le Palais-Royal et les hôtels des ministres. Le Président du Conseil ordonna donc qu’une force imposante se réunit sur la place du Palais-Royal et que la cavalerie chargeât contre les mutins. Tout arriva selon ses désirs et les carabiniers, les rangs serrés, chargèrent la foule au grand galop avec des coups de plat de sabre à droite et à gauche. Cette manœuvre répétée deux fois tout le long de la rue, de la Fontaine des Innocens à la rue Royale, eut son effet ; à une heure, la tranquillité était rétablie, sauf à recommencer un autre jour.

J’ai été ce matin chez la marquise de La Châtaigneraie ; je l’ai trouvée dans une inquiétude à faire pitié. Les fonds baissent tous les jours ; elle voudrait retirer les siens pour les placer dans un autre pays ; mais on y perd, en les déplaçant, la moitié de son capital. C’est bien une considération ; il vaut mieux cependant en conserver la moitié que de courir la chance de tout perdre. D’un autre côté, les fermiers refusent aussi de payer ce à quoi ils se sont engagés par contrat ; voilà ce qui force Mme de Narbonne à aller dans le Midi. Mme de La Châtaigneraie, sa fille, l’y accompagne. J’ai fait tout au monde pour l’engager à rester à Paris, elle ne le peut ; la seule chose que j’aie obtenue, c’est la promesse de revenir dans six semaines ou deux mois.


20 juin. — Nous voilà donc aux élections nouvelles, beaucoup de Carlistes refusent d’y aller, ils ne savent ce qu’ils font. Le sort de la France sera tout entier entre les mains de la Chambre qui va venir, voilà ce que ces messieurs ne devraient pas perdre de vue. Jamais, peut-être, plus grande mission ni plus décisive n’a été confiée aux électeurs. A côté de chaque nom tracé sur les bulletins, se trouvera aussi la paix ou la guerre, l’ordre ou l’anarchie. Avec une Chambre sage, il serait possible, non sans effort, il est vrai, de surmonter les obstacles que l’esprit de faction entasse avec audace et persévérance contre le gouvernement. Avec une Chambre ou lâche ou folle, la carrière est ouverte au désordre ; la monarchie désarmée n’est plus qu’une proie livrée aux partis. Tout est remis en question, et, pour mieux organiser, on commence par tout détruire.