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tous les noms des personnes qui devaient composer le gouvernement provisoire. Lafayette aurait été dictateur, Odilon Barrot, Lamarque et compagnie auraient été ses ministres et conseils ; enfin, la République était toute faite. Au général Dubourg auraient été confiées les forces militaires. Un gouvernement mieux assis que celui de Louis-Philippe aurait commencé par faire coffrer tous ces messieurs d’après, la liste trouvée chez Lennox ; mais il n’y avait pas moyen.

Les attroupemens continuent ; 12 000 hommes de troupes sont sur pied ; mais on ne peut se fier à eux. Il y en a qui ne sont plus rentrés dans leur caserne depuis plusieurs jours ; ils restent dans les cabarets des rues Saint-Martin et Saint-Denis à boire avec les mutins. Ils sont dans un état d’ivresse continuelle ; on ne sait qui paie cette quantité de vin et d’eau-de-vie. Le pillage de trois boutiques fait horreur à tout le monde et j’espère que cet incident ranimera la garde nationale qui commence à se fatiguer de son service, de ce rappel éternel. Le commerce en souffre beaucoup, les faillites continuent. Tout Paris se trouve encore replongé dans cette terreur du mois de février, où, à tout moment, on croyait voir proclamer la République. Encore les mêmes bivouacs dans les rues, sur les quais et sur les places.

Hier, en allant aux Allemands, nous avons été arrêtés plusieurs fois par les marches et les contremarches des troupes : il fallait dire que c’était la voiture de l’ambassadeur d’Autriche pour qu’on nous laissât passer. La fête des vendanges de Bourgogne, où M. Gallois a brandi un poignard en disant : Pour Louis-Philippe, est aussi un fameux scandale, et ce qui l’est encore plus, c’est le procès qui s’en est suivi, où M. Gallois[1] a dit dans son plaidoyer toutes les horreurs imaginables contre le Roi et son gouvernement, et cet homme a été acquitté ! Les jurés et les juges avaient reçu des lettres anonymes dans lesquelles on les menaçait de mort s’ils condamnaient Gallois. Les jurés tout comme les juges connaissent le formidable pouvoir du comité directeur, et n’osent l’affronter lorsqu’il menace.


18 juin. — Entre onze heures et minuit, s’est formé un grand attroupement devant le Palais-Royal et dans la rue Saint-Honoré,

  1. Publiciste et historien dont les œuvres s’inspiraient d’opinions révolutionnaires très accusées.