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le Roi avait une mine parfaite, que jamais il n’avait eu meilleur visage, de même le Duc de Bordeaux ; il est plein d’esprit et de grâce, tout le monde l’adore. Madame la Dauphine est avec le Roi et ne le quitte jamais. La Duchesse de Berry fait ses voyages, elle ira à Londres.

— Elle est plus montée que jamais, me disait M. de Bervanger ; vous en entendrez parler bientôt.

— Pourvu que cela ne soit pas trop tôt pour son propre intérêt ! repris-je.

— Oui, continua l’abbé, elle s’est déjà fait beaucoup de torts, et ses amis lui en ont fait encore plus et davantage peut-être que ses ennemis. Il lui vient sans cesse des personnes de France qui lui offrent leurs services pour organiser une contre-révolution. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait se fier à eux, mais qu’elle me chargerait de bien des commissions, si je voulais les accepter. Je lui répondis que, si cela ne dépendait que de ma bonne volonté, elle pourrait compter sur moi. Elle me chargea donc de mille commissions bien difficiles à remplir, bien épineuses, et je ne sais vraiment comment en venir à bout. La seule dont je me sois chargé avec plaisir, consiste à vous dire de sa part et à toute votre famille bien des choses ; elle sait très bien que vous n’avez pas changé pour elle.


16 juin. — Dom Pedro va à Munich, à ce qu’il paraît ; de là il veut revenir ici et s’établir en particulier à Paris. Il ne nous sera pas bien commode à nous autres Autrichiens. Il a laissé tous ses enfans à Rio ; il n’y a que Donna Maria da Gloria qui soit avec lui. Quel drôle de personnage que cela fait ici ! Le voilà, ce souverain le plus libéral de la terre, cet archiconstitutionnel, ce donneur de charte, culbuté, renvoyé, lui et toutes ses institutions. Quelle leçon pour les rois constitutionnels !


17 juin. — On a arrêté hier Lennox[1], l’un des agens de M. de Lafayette. On a trouvé chez lui tout le grand plan de la nouvelle conspiration ourdie contre Louis-Philippe ; on a trouvé

  1. Américain de naissance, il avait servi sous Napoléon, comme capitaine instructeur à Saint-Cyr et à Saumur. Quoique, à la suite de sa participation aux journées de Juillet, il eût été nommé chef d’escadron, il se jeta dans le parti républicain, quitta l’armée et fut mêlé à la plupart des conspirations de cette époque. Il mourut en 1836, à quarante et un ans, ruiné par ses tentatives révolutionnaires et par des essais malheureux de navigation aérienne.