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de jeunes femmes très agréables pour les hommes à la mode, mais un peu exclusives pour les autres et insupportables peut-être pour les femmes plus âgées ou moins élégantes ; elles rassemblent autour d’elles autant de jeunes gens qu’elles peuvent en attraper ; elles sont fort jolies, très coquettes et deux d’entre elles ont de l’esprit pour toutes. Ces dames font des parties aux petits spectacles ; elles se font faire la cour dans les salons et elles arrangent de petits soupers. Ces petits soupers sont surtout fort mal vus par tous ceux qui n’en sont point. On veut bien m’y admettre et j’y prends part en observateur et avec calme. Je profite de ce qu’on m’offre et voilà tout ; je n’admire pas ce genre ; mais je le trouve tout simple, parce que je connais les individus et qui plus est les relations intimes de chacune de ces dames. Il fallait une révolution pour les rapprocher et la chute d’un trône et d’un gouvernement comme celui de Charles X pour qu’elles pussent se mettre en avant de la sorte. Madame la Dauphine, surtout, était un grand obstacle à une gaité un tant soit peu déréglée ; il fallait cacher ses plaisirs sous les dehors d’une dévotion, d’une pruderie, d’une sévérité dont ces dames n’auraient peut-être pas été capables.


11 juin. — Nous recevons la nouvelle du débarquement à Cherbourg de l’empereur du Brésil Dom Pedro ; il vient d’arriver avec sa femme et ses enfans, excepté l’aîné en faveur duquel il a abdiqué à la suite d’une révolte, qui a eu lieu à Rio Janeiro[1]. Dans quel temps vivons-nous ! Quelle nouvelle complication dans les affaires ! Que fera Dom Pedro ? Se mettra-t-il à la place de son frère en Portugal ? Voudra-t-il conquérir l’Espagne ? Rien ne me parait improbable de sa part.


15 juin. — M. l’abbé Bervanger, mon confesseur et celui de mes cousins Rodolphe et Jules et autrefois celui du Duc de Bordeaux, vient d’arriver du château de Holy Rood. Il m’a dit que

  1. Fils de Jean VI, roi de Portugal, il avait suivi ce prince, quand celui-ci chassé de son royaume par Napoléon, s’était réfugié au Brésil. Il resta dans ce pays après que Jean VI eut recouvré ses États et y devint empereur. A la mort de son père, qui faisait passer sur sa tête la couronne de Portugal, il abdiqua cette couronne en faveur de sa fille encore mineure, dont il promit la main à son frère Dom Miguel en le nommant régent. Mais, bientôt après, en 1827, Dom Miguel se déclara roi, au mépris des droits de sa fiancée. En 1831, Dom Pedro, ayant cédé à son fils le trône du Brésil, revenait en Europe pour rétablir sa fille dans ses droits. Il y parvint en 1833, en soulevant le royaume portugais contre Dom Miguel.