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France et beaucoup de ses beautés sont tirées de Guilhem de Castro. C’est à Castro qu’on doit ces admirables mouvemens de tendresse et de devoir qui déchirent le cœur de Chimène. C’est l’Espagnol qui a fourni mot à mot ces beaux vers :


Et je veux que la voix de la plus noire envie
Élève au ciel ma gloire et plaigne mon ennui
Sachant que je t’adore et que je te poursuis.


C’est aussi de l’espagnol qu’est traduit ce morceau dont la fausse beauté fut longtemps applaudie :


Pleurez, pleurez, mes yeux et fondez-vous en eau,
La moitié de mon âme a mis l’autre au tombeau, etc.


Cette situation nouvelle d’une amante intéressante qui voit son père tué par son amant, ce beau caractère de don Diègue, ces sentimens si vrais, si passionnés, si bien exprimés de Chimène et de Rodrigue, ces combats de l’amour et du devoir enlevèrent tous les suffrages et firent pardonner tous les défauts. Il est vrai que, dans l’acclamation générale, on oublia trop l’Espagne, mais il est vrai que Corneille avait tellement embelli son original espagnol que le Cid français fut traduit lui-même en castillan.

On sait quels ennemis ce grand succès valut à Corneille.

Le cardinal de Richelieu, dont le nom seul rappelle à tout le monde l’histoire de ces temps, venait de fonder en France une Académie à l’exemple de tant d’Académies d’Italie. Le bruit prodigieux que fit cet établissement venait en partie de l’éclat du fondateur et en partie du besoin que la nation avait de cultiver les lettres. Il est étrange que les universités établies pour former les hommes, loin de suffire à leur objet, y fussent contraires. Il fallait une nouvelle société non moins pour ôter la rouille de l’école que pour éclairer le goût des hommes du monde.

Il faut avouer qu’il n’y avait aucun homme de grand talent dans cette Académie naissante. Il y avait même de très mauvais poètes que le cardinal de Richelieu encourageait par de petits bienfaits et par la faiblesse qu’il avait de faire avec eux des vers fort au-dessous du médiocre. Mais les vues étaient belles, malgré la faiblesse de ces commencemens, et Richelieu faisait en France ce que Léon X avait fait à Rome, il encourageait des arts qui contribuent à la splendeur d’un Etat.