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avait fait la gloire du théâtre par quelques traits sublimes que son heureux naturel faisait briller dans le chaos de ses pièces. Quelque temps après, Lope de Vega, né en 1562, et qui mourut en 1636 lorsque Corneille travaillait au Cid, donna quelque éclat au théâtre espagnol, comme Shakspeare à celui de Londres. On l’accusa d’avoir fait environ quinze cents pièces. Cette malheureuse abondance ne prouve que trop la facilité de mal faire.

La comédie était moins mauvaise que la tragédie chez les Espagnols, comme chez les Anglais. Il est plus aisé en effet d’y réussir. Elle demande un génie moins fort, elle exige moins de décence, elle peint des objets plus familiers, à peine est-elle un poème ; Horace ne sait si on doit lui donner ce nom. Les Espagnols, les Anglais, ainsi que plusieurs Italiens, l’écrivaient en prose. Ainsi Ben Jonson, qui suivit Shakspeare, fit des comédies qui eurent de la réputation ; et enfin Calderon, mort vers l’an 1664 en Espagne, fit des pièces comiques fort estimées. Quelque temps même avant Calderon, lorsque le théâtre italien tomba en décadence avec les belles-lettres en Italie, c’est-à-dire vers l’an 1600, les Espagnols, maîtres de Naples et de Milan, y portèrent leurs comédies : car les Espagnols, vers 1600, avaient acquis la supériorité dans l’empire de l’esprit, et leur langue était la langue générale de l’Europe.

Paris avait un théâtre en ce temps-là, qu’on appelait le théâtre du Marais près de la Grève. Un auteur nommé Hardy, qui a fait autant de pièces que Lope de Vega, entretenait malheureusement ce théâtre par des pièces innombrables, qui sont autant de monumens de la barbarie. Si une vaine curiosité veut remonter encore plus haut, on trouvera que, dès l’an 1402, les Confrères de la Passion furent établis dans les temps horribles de Charles VI pour représenter les histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament et qu’en 1548, ces confrères achetèrent l’hôtel des Ducs de Bourgogne, dont on ôta les armes, pour mettre à la place les instrumens de la Passion. On a imprimé plusieurs recueils des anciennes farces pieuses qu’on y jouait, recueils fort chers et qu’on ne peut lire.

Enfin le temps de la France arriva, car précisément lorsque Descartes commençait à y changer la philosophie, Corneille changea le théâtre et avec lui la poésie et même l’éloquence de la prose, qui n’a jamais été cultivée dans aucune nation qu’après les vers. Ainsi les belles-lettres doivent tout à Corneille.