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Les folles entreprises ?
Ces châteaux accablés dessous leur propre faix
Enterrent avec eux les noms et les devises
De ceux qui les ont faits.

Employons mieux le temps qui nous est limité.
Quittons ce fol espoir pour qui la vanité
Nous en fait tant accroire ;
Qu’amour soit désormais la fin de nos désirs,
Car pour eux seulement les dieux ont fait la gloire,
Et pour nous les plaisirs.


S’il avait fait une douzaine de pièces aussi bonnes, il serait bien au-dessus de Malherbe et comparable à Horace, qui, tout supérieur qu’il est, n’a pas peut-être douze odes parfaites.

La poésie se produisit encore sous un nouveau jour par le génie de Régnier ; c’est le genre de la satire si l’on peut l’appeler poésie, car son style tient du style uni de la comédie. Régnier, né à Chartres en 1575, contemporain de Malherbe et de Racan, n’avait pas leur douceur dans ses vers : son naturel était plus rude, mais c’était le Lucilius des Français. Il a beaucoup de vers heureux ; il est étrange que personne n’attrapât alors le style de la comédie, auquel celui de Régnier pouvait servir de modèle. Les satires en effet disent dans un monologue ce que la comédie dit en dialogue ; mais le théâtre était alors tout barbare.

Il y a dans la littérature deux sortes de barbarie, l’une qui n’exclut pas le génie, et qui suppose seulement le défaut de goût et de choix ; l’autre est celle qui exclut tout jusqu’au génie. La barbarie de la première espèce régnait sur le théâtre anglais et espagnol, celle de la seconde était le partage des Français.

Ce fut un bonheur pour eux que cette disette totale. Il vaut mieux, dans les arts, n’avoir rien que d’avoir quelques beautés dans une foule de défauts capitaux ; ces défauts à la faveur des beautés séduisent une nation. Bientôt même on les confond avec elles, le goût du public se corrompt presque sans ressource ; les grands génies qui auraient ouvert une bonne route trouvent, en arrivant, le mauvais chemin et s’y précipitent comme les autres. Voilà en partie pourquoi la tragédie n’est encore que grossière à Londres et à Madrid.

Dès le règne d’Elisabeth, Shakspeare, homme sans lettres,