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Comme ils n’ont plus de sceptres, ils n’ont plus de flatteurs,
Et tombent avec eux d’une chute commune
Tous ceux que la fortune
Faisait leur serviteurs.
Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre
Est sujet à ses lois
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend pas nos rois.


Encore deux ou trois stances dans ce goût, et on a tout ce que Malherbe a fait d’excellent. Son imagination n’était pas vive, son goût n’était pas encore sûr. Il pensait peu, et dans ce peu de pensées, il n’était pas délicat sur le choix, mais la France n’a connu l’harmonie que par lui, la langue n’eut du nombre et de la douceur que sous sa plume. Combien la poésie paraît aisée, et combien elle est difficile ! Depuis Hugues Capet, on faisait des vers français. Malherbe est le premier qui en ait fait d’harmonieux, et il s’en fallait encore beaucoup qu’il fût un grand poète.

L’art de poésie ne se perfectionna pas sous les mains de Racan, mais il ne dégénéra pas. Cet illustre disciple de Malherbe, seul rejeton de l’ancienne maison de Sancerre, avec moins de génie que Malherbe, d’ailleurs très ignorant, s’est fait pourtant un nom qui ne mourra jamais, parce qu’il sut connaître ce naturel et ce nombre que Malherbe seul avait connus, que presque toutes les oreilles sentent, et qu’il était si difficile de trouver. Son ode au comte de Bussy vivra autant que la langue française. C’est le seul morceau de Racan qui soit de cette force :


Que te sert de chercher les tempêtes de Mars
Pour mourir, tout en vie, au milieu des hasards
Où la guerre te mène ?
Cette mort qui promet un si digne loyer
N’est pourtant que la mort qu’avec bien moins de peine
On trouve à son foyer.

Que sert à ces héros ce pompeux appareil
Dont ils vont dans la lice éblouir le soleil
Des trésors du Pactole ?
La gloire qui les suit après tant de travaux
Se passe en moins de temps que la poudre qui vole
Du pied de leurs chevaux.

A quoi sert d’élever ces monts audacieux
Qui de nos vanités font voir jusques aux cieux