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accuse encore son ancienne barbarie et laisse voir la grossièreté de la matière à laquelle on n’a donné que depuis cent ans une forme agréable.

C’était surtout en poésie un instrument aigre et rebelle à l’harmonie. La quantité de désinences dures, le petit nombre de rimes semblaient devoir exclure les vers. Ils n’étaient point à leur aise dans cette langue comme dans l’italien. Aussi qu’a-t-elle produit jusqu’à Henri second ? Le seul Marot. Il y a eu vingt poètes en Italie à peu près contemporains de Marot qui ont badiné beaucoup plus agréablement que lui, et qui ont répandu plus de sel et de grâces dans leurs ouvrages, tels que l’archevêque de Bénévent la Casa, le Mauro, le Berni, le Tassoni, qui écrivirent tous avec élégance, et que, cependant, je n’ai pas cités parmi les principaux auteurs qui faisaient honneur à leur nation.

Il le faut avouer, Marot pensait très peu et mettait en vers durs et faibles les idées les plus triviales. De plus de soixante épîtres, il n’y en a guère que deux qui puissent se lire, l’une dans laquelle il conte avec naïveté qu’un laquais l’a volé, l’autre où il fait la description du Châtelet. De deux cent soixante et dix épigrammes, y en a-t-il plus d’une douzaine dignes d’amuser un lecteur de goût ? A retranchez encore cette licence qui en fait presque tout le mérite, que restera-t-il ? Le reste de ses ouvrages, à un ou deux rondeaux près, ses psaumes, ses cimetières, ses étrennes, portent le caractère d’un siècle qui, ne connaissant pas mieux le bon, estimait beaucoup le mauvais.

Cependant le peu qu’il y a de bon est si naturel qu’il a mérité d’être dans la bouche de tout le monde. Trois ou quatre petites pierres précieuses ont passé à la postérité à travers tant de débris et ont fait dire à Despréaux :


Imitez de Marot l’élégant badinage.


Il n’y eut rien en France qui dût donner l’idée de la véritable poésie jusqu’à Malherbe. La poésie véritable est l’éloquence harmonieuse et les véritables vers sont ceux qui passent de bouche en bouche à la postérité. Tels ne sont point ceux des Ronsards, des Baïfs et des Jodelles, mais quelques-uns de Malherbe ont ce caractère. On sait encore par cœur ces vers :


Là se perdent les noms de maîtres de la terre,
D’arbitres de la paix, de foudres de la guerre,