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nécessaires, l’un est l’usage, l’autre le jugement des oreilles délicates. Ce n’est que dans une langue vivante qu’on peut avoir ces deux secours. Ainsi on peut regarder tous les livres latins depuis le IVe siècle comme autant de monumens informes de l’ancienne Rome.

Les bons auteurs de cette ancienne Rome étaient nécessaires pour instruire les modernes et pour former leur goût corrompu, pour leur apprendre à transporter dans leur langue des idées neuves et des beautés étrangères ; aussi voit-on que tous les Italiens qui réussirent les avaient lus avec soin. Une des causes qui contribuèrent le plus à éveiller le génie italien de la léthargie universelle, c’est que ces bons modèles de l’antiquité ne se trouvaient guère qu’en Italie ; encore y étaient-ils si rares que Panormita même au commencement du XVe siècle acheta un exemplaire de Tite-Live cent vingt écus d’or. Le Poggio, l’un de ceux qui rétablirent la bonne étude de la langue latine et qui montrèrent qu’on pouvait bien écrire en italien, retrouva les poèmes de Lucrèce qu’on croyait absolument perdus. On lui doit Silius Italicus, Manilius, Ammien Marcellin, et même huit oraisons de Cicéron qu’il déterra dans des couvens qui possédaient ces trésors sans les connaître.


Il semble que (tous les arts se donnent la main), car dans le temps que Dante, Pétrarque, faisaient renaître la poésie, la peinture sortait aussi du tombeau, et toutes ces nouveautés étaient dues aux Florentins.

Cimabué, né dans la ville de Florence même en 1240, fut le premier dans l’Occident qui mania le pinceau avec quelque art. On peignait à Constantinople où toute l’ancienne industrie était réfugiée, mais avant Cimabué on ne savait pas en Italie dessiner une figure, encore moins en peindre deux ensemble. Les Florentins dérobèrent encore aux Grecs l’art de peindre en mosaïque avec de l’émail. Taffi est le premier qui ait travaillé de cette manière. Le Giotto, autre Florentin dont il reste encore des ouvrages, perfectionna l’art du pinceau, et chaque peintre enchérissant ensuite sur ses prédécesseurs, l’Italie vit naître des miracles dans toutes ses villes sous les mains des Mazaccio, des Bellini, des Perugin, des Mantegna, et surtout enfin des Léonard de Vinci, des Michel-Ange, des Raphaël, des Titien, des Corrège,