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c’est en quoi les Anglais les ont imités, mais la langue française n’a pu permettre cette liberté’.

Quand l’Arioste finissait sa carrière, le Tasse né en 1544 commençait la sienne. Il avait ce génie qui manquait au Trissin, et la lecture de l’Arioste avait développé son talent. Il fait la gloire de Sorrente où il naquit en... comme l’Arioste fait celle de Ferrare. Je n’entrerai point ici dans l’histoire de sa vie malheureuse, ce sont ses ouvrages que je considère. Ses infortunes ne sont que celles d’un particulier, mais ses poèmes, qui font le plaisir de tous les siècles, appartiennent au genre humain. Il dut beaucoup sans doute à l’Arioste. Il est sensible que le palais d’Armide est presque bâti sur le modèle de celui d’Alcine et que les deux caractères se ressemblent. On voit encore que Didon a servi d’exemple à l’un et à l’autre, comme Calypso en a pu servir a Didon. Toutes quatre ont des beautés différentes, mais je ne sais si Didon et Armide ne méritent pas la préférence. Je ne nierai pas qu’il n’y ait un peu de clinquant dans le Tasse comme on le dit, mais il me semble qu’il y a aussi beaucoup d’or. Lorsqu’une fois une langue est fixée et qu’un auteur fait les délices de plusieurs, généralement d’une nation éclairée, le mérite de cet auteur est hors d’atteinte. Non seulement il fut poète épique, mais aussi poète tragique, talens très difficiles à rassembler.

Les Italiens ont encore l’obligation au Tasse d’avoir inventé la comédie pastorale. Son essai en ce genre fut à quelques égards un chef-d’œuvre, mais son Aminte fut encore surpassée par le Pastor fido de Guarini, contemporain du Tasse et secrétaire du duc de Ferrare. Cette pièce est, à la vérité, beaucoup trop longue, trop remplie de déclamations, défigurée par les brutalités d’un satyre, peu asservie aux règles, mais quoique les scènes n’en soient presque jamais liées, l’intrigue n’est point interrompue, l’ouvrage est tout élégant, tendre, respirant l’amour et les grâces, et écrit de ce style qui ne vieillit jamais. Beaucoup de ses vers ont passé en proverbe, non pas de ces proverbes de la populace, mais de ces maximes qui font le charme de la société chez les honnêtes gens. On savait plusieurs scènes de cette pastorale par toute l’Europe, on en sait même encore quelques- unes. Elle appartenait à toutes les nations. On retrouve les chœurs des anciens dans la Sophonisbe du Trissin, dans l’Aminta du Tasse, dans le Pastor, mais ce qu’il y a d’assez étrange, c’est que le chœur chez les Grecs ne chante jamais que la vertu, et