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Mais ce qui faisait encore plus d’honneur au Ruccelaï et au Trissin et même aux gens de lettres d’alors, c’est qu’ils étaient rivaux et intimes amis.

L’Arioste né à Ferrare porta plus loin qu’aucun autre la gloire de la poésie italienne. Jamais homme n’eut plus d’imagination ni plus de facilité ; il réussit dans tout ce qu’il entreprit. Il peignit les mœurs et sut mettre de l’intrigue dans ses comédies. Ses élégies respirèrent l’amour, ses satires furent un mélange de gravité et d’enjouement. Son poème de Roland le furieux surprit et enchanta l’Italie par cette rapidité d’imagination, cette invention inépuisable, ces allégories si bien ménagées qui sont toujours une image agréable du vrai, mais surtout par ce style toujours pur, toujours enchanteur qui fait grand le mérite de ses ouvrages, et sans quoi toutes les autres parties de l’esprit seraient des beautés perdues. Beaucoup de ces contes qui sont jetés dans ses satires et dans son Roland ont été recueillis et mis en vers français par La Fontaine. Il faut avouer que l’auteur italien l’emporte beaucoup sur le Français non seulement comme auteur, mais comme écrivain. L’Arioste parle toujours purement sa langue, il emploie des termes familiers, mais presque jamais bas, il ne va point chercher dans la langue qu’on parlait avant le Dante des expressions surannées, jamais son style ne lui manque au besoin. Son imitateur, d’ailleurs excellent en son genre, est bien loin de cette correction et de cette pureté.

Il est vrai que l’Arioste, dans la facilité de ses narrations qui coulent plus aisément que la prose, se laisse emporter quelquefois à des plaisanteries tolérées dans la chaleur de la conversation, mais qui choquent la bienséance dans un ouvrage public : il dit, par exemple, en parlant d’Alcine :


Del gran placer ch’avean, lov dicer tocca
Che spesso avean piu d’una lingua in bocca[1].


Il fait dire à saint Jean :


Gli scrittori amo, e fo il debito mio
Ch’ al vostro mondo fui scrittore anch’ io
…………….
E ben convenue al mio lodato Cristo
Render mi guiderdon di si gran sorte[2]

  1. Orlando furioso, C. VII.
  2. Ibidem, C. XXXV.