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Il figure la Papauté et l’Empire sous l’emblème de deux soleils au seizième chant de son Purgatoire. Il faut que le lecteur pardonne à la faiblesse de la traduction.


[Jadis on vit dans une paix profonde
De deux soleils les flambeaux luire au monde
Qui sans se nuire éclairaient les humains,
Du vrai devoir enseignaient les chemins
En nous montrant de l’aigle impériale
Et de l’agneau les droits et l’intervalle.
Ce temps n’est plus et Rome a trop changé.
L’un des soleils de vapeurs surchargé
En s’échappant de sa sainte carrière
A su de l’autre absorber la lumière.
La règle alors devint confusion
Et l’humble agneau parut un fier lion
Qui tout brillant de la pourpre usurpée
A réuni la houlette à l’épée][1]


Il s’exprime comme on peut le voir d’une manière plus précise et plus forte sur Boniface VII.

Si la satire fait valoir son livre, son génie fait valoir aussi sa satire. On y trouve des peintures de la vie humaine qui n’ont pas besoin pour plaire de la malignité de notre cœur. Le Dante restera toujours un beau monument de l’Italie, ceux qui sont venus après lui l’ont surpassé sans l’éclipser. Il fut commenté dix fois et même immédiatement après sa mort. On le traitait déjà comme ancien et c’est le plus grand effet de l’estime des contemporains.

Nous nous étonnons aujourd’hui que le Dante ait choisi un sujet qui paraît si bizarre, mais plaçons-nous au temps où il vivait. La religion était le sujet de presque tous les écrits et des fêtes et des représentations publiques. Il n’y a rien de si naturel à l’homme ; il répète dans l’âge mûr l’école de son enfance. L’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament se représentaient sur la place publique et c’est des Italiens qu’on prit cette coutume en France et en Espagne[2]. Ces représentations s’appelaient sacrées. Il en restait encore des traces au XVIe siècle, et

  1. Imprimé avec quelques variantes dans la Lettre à M***, et le chapitre 82 de l’Essai.
  2. Chap. 82 : « L’art des Sophocles n’existait point ; on ne connut d’abord en Italie que des représentations naïves de quelques histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament ; et c’est de là que la coutume de jouer les, mystères passa en France. »