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ici que toutes les poésies des Persans et des Arabes sont en rimes et que c’est bien mal à propos qu’on impute à nos moines d’avoir introduit la rime. Toutes les nations ont rimé, excepté les Grecs, et les Romains leurs imitateurs. Mais nos rimes et notre prose n’avaient rien que de barbare.

Dans cette mort générale des arts, on avait toujours plus de signes de vie en Italie qu’ailleurs. On y avait au moins les manuscrits des anciens. La langue latine ressemblait à ces lampes conservées, disait-on, dans les tombeaux, elle donnait un peu de clarté. Rome fut toujours plus instruite en tout que les ultramontains. On voit même que sous Charlemagne, les moines gaulois de Saint-Denis ayant prétendu que leur musique valait mieux que celle de l’Église de Rome, Charlemagne décida pour les Romains.

Mais au commencement du XIVe siècle, quand la langue italienne commença à se polir et le génie des hommes à se développer dans leur langue maternelle, ce furent les Florentins qui défrichèrent les premiers ce champ couvert de ronces. Le climat de Toscane semble être un des plus favorables aux arts et à l’esprit humain. Les Toscans avaient autrefois servi de maîtres aux Romains, et dans la religion et dans plus d’un art, quoique grossier. Ils leur en servirent encore aux XIVe et XVe siècles. Tout ce qu’on connaissait d’éloquence en Italie n’était presque renfermé que dans la Toscane. On en vit un témoignage bien étrange lorsque Boniface VIII donna en un jour audience à douze envoyés de douze différens princes de l’Europe, qui le complimentèrent sur son avènement au pontificat. Il se trouva que ces douze orateurs étaient tous de Florence[1].

Le premier ouvrage écrit dans une langue moderne qui ait conservé sa réputation jusqu’à nos jours, est celui du Dante. Cet auteur naquit à Florence en 1265. La langue italienne prit sous sa plume des tours nouveaux et cette même forme qui subsiste aujourd’hui, quoique beaucoup de ses expressions soient hors d’usage. On n’entend plus ce qui se composait alors dans les autres idiomes de l’Europe, et le style du Dante parait moderne, je dis son style, que je distingue des mots surannés et de quelques termes de jargon. Ses vers faisaient déjà la gloire de l’Italie

  1. Chap. 82 : « Florence était alors une nouvelle Athènes : et parmi les orateurs qui vinrent de la part des villes d’Italie haranguer Boniface VIII sur son exaltation, on compta dix-huit Florentins. »