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exemple n’avait jamais changé, et la langue persane, refondue dans l’arabe, était fixe et constante depuis la grande révolution qu’apporta la loi de Mahomet.

C’est par cette raison que les poètes arabes et persans qui faisaient, il y a huit cents ans, les délices de leurs contemporains plaisent encore aujourd’hui, tandis que les jargons européens des XIIe et XIIIe siècles ne sont plus entendus.

On ne trouve pas à la vérité dans leurs ouvrages de poésie et d’éloquence plus de perfection que dans les autres arts. Il y a toujours plus d’imagination que de choix, plus d’enflure que de grandeur. J’avoue qu’(ils peignent avec la parole), mais ce ne sont que des figures hardies mal assemblées, ils ont trop d’enthousiasme pour penser finement, l’art des transitions n’a jamais été connu d’eux : quelque poésie orientale qu’on lise, il est aisé de s’en convaincre.

Sady, par exemple, né comme Avicenne en Bactriane, le plus grand poète persan du XIIIe siècle, s’exprime ainsi en parlant de la grandeur de Dieu :


[Il sait distinctement ce qui ne fut jamais,
De ce qu’on n’entend point son oreille est remplie,
Prince, il n’a pas besoin qu’on le serve à genoux.
Juge, il n’a pas besoin que sa loi soit écrite.
De l’éternel burin de sa prévision
Il a tracé nos traits dans le sein de nos mères.
De l’aurore au couchant il porte le soleil.
Il sème de rubis les masses des rochers.
Il prend deux gouttes d’eau, de l’une il fait un homme,
De l’autre il arrondit la perle au fond des mers.
L’Être au son de sa voix fut tiré du néant.
Qu’il parle, et dans l’instant l’Univers va rentrer
Dans les immensités de l’espace et du vide.
Qu’il parle, et l’Univers repasse en un clin d’œil
De l’abime du rien dans les plaines de l’être.]


On sent dans cette version assez littérale un esprit hardi et poétique pénétré de la grandeur de son sujet et qui communique à l’âme du lecteur les élancemens de son imagination. Mais si on lit le reste, on sent aussi l’irrégularité de cent figures incohérentes entassées pêle-mêle. Le style qui étonne doit à la longue fatiguer. Il faut convenir que les Orientaux ont toujours écrit vivement, et presque jamais raisonnablement. Mais avant le XIVe siècle, nous ne savions faire ni l’un ni l’autre. J’avertis