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épais. On chantait et on ignorait la musique ; on n’a jusqu’au XIVe siècle aucun ouvrage de bon goût en aucun genre. On parlait, on écrivait et l’éloquence était inconnue. On faisait quelques vers, tantôt en latin corrompu, tantôt dans les idiomes barbares, et on ne connaissait rien de la poésie.

... Nous avons vu les malheurs de la terre entière, Gengis-khan, etc., mais au moins au XIVe siècle l’Asie riche et heureuse, Perse, Chine, Indes ; l’Europe toujours faible, divisée et barbare, Allemagne. Italie, France sous Charles VII, Etats de Charles VII...

Il n’en était pas tout à fait ainsi dans l’Orient. Constantinople conserva les arts jusqu’au temps où elle fut désolée par les Croisades. Elle fournissait même quelquefois des mathématiciens aux Arabes. Plusieurs empereurs écrivirent en grec avec pureté.

Aben ou Eben Sina que nous appelons Avicenne florissait chez les Persans au XIe siècle et nul homme alors en Europe n’était comparable à lui. Il était né dans le Korassan qui est l’ancienne Bactriane. La géométrie, l’éloquence et la poésie furent depuis lui en honneur dans la Perse ; aucun de ces arts, à la vérité, n’y fut porté à son comble et j’ai toujours été étonné que l’Asie qui a fait naître tous les arts n’en ait jamais perfectionné aucun. Mais enfin ils y subsistaient, tandis qu’ils étaient anéantis en Europe.

J’ai déjà remarqué[1] que Tamerlang, loin de leur être contraire, les favorisa. Son fils Haloucoucan fit dresser des tables astronomiques, et son petit-fils Houlougbeg en composa de meilleures avec l’aide de plusieurs astronomes. Ce fut lui qui fit mesurer la terre[2].

Notre Europe avait cependant cette supériorité sur eux d’avoir inventé la boussole et la poudre et enfin l’imprimerie. Mais ces connaissances déjà vulgaires à la Chine ne furent point en Europe le fruit de la culture assidue des arts. Le génie du siècle, l’encouragement des princes n’y contribuèrent pas. Ces découvertes furent faites par un instinct heureux d’hommes grossiers qui eurent un moment de génie.

Les Orientaux avaient d’ailleurs un grand avantage sur les Européens. Leurs langages s’étaient soutenus, l’arabe par

  1. Dans le chapitre 88 de l’Essai sur les mœurs.
  2. Tome 18, Académie des Sciences. (Note de Voltaire.)