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un sujet de comparaison bien instructif. En général, le premier texte a subsisté ; mais il est remarquable que tous les passages offensans pour Rome aient disparu, ceux mêmes qui rapportent les faits les mieux reconnus du Saint-Siège, comme l’aversion invincible qu’il a toujours inspirée aux Églises d’Orient. En revanche, on y voit maints nouveaux paragraphes, célébrant la décence, la gravité de l’Église romaine. Elle apparaît gouvernée, non seulement par des hommes pleins d’humanité, mais par des sages, par des philosophes : « Elle a toujours eu cet avantage de pouvoir donner au mérite ce qu’ailleurs on donne à la naissance. Aujourd’hui, en Allemagne, il y a des couvens où l’on ne reçoit que des nobles. L’esprit de Rome a plus de grandeur et moins de vanité... Elle était faite pour donner des leçons aux autres. » Enfin des additions considérables avaient porté au nombre de 68 les 49 chapitres de l’édition Néaulme : peu à peu la compilation des faits l’emportait sur l’examen philosophique ; les réflexions hardies qu’on y voit encore sont diluées, sont assombries sous le fatras de l’érudition. Lors de l’édition définitive en 1768, Voltaire avait répudié son premier dessein. Il considérait son œuvre comme un manuel d’histoire à l’usage des gens du monde, il souhaitait sa diffusion dans les collèges, et il faisait remarquer qu’à l’époque où elle fut entreprise, « aucune des compilations universelles qu’on a vues depuis n’existait. »

C’est qu’un événement comparable à son séjour en Angleterre, et à la rencontre de Mme du Châtelet, avait remué depuis peu l’esprit du philosophe : il venait de découvrir le commerce des érudits, personnes qui n’étaient point à la mode au temps qu’il vivait à Paris. Près de Colmar, où il résida plus d’un an à son retour de Prusse, était l’abbaye de Senones, dirigée pour lors par le célèbre dom Calmet. Le religieux ouvrit sa bibliothèque à l’homme du monde ; il le persuada de composer un ouvrage utile plutôt que de recueillir les saillies de son esprit ; et Voltaire, bientôt, ne céda pas moins à l’entraînement de l’étude qu’à l’autorité vénérable de l’exégète. Vers le même temps, il renouait d’anciennes relations avec le pasteur Vernet, professeur à l’université de Genève. Enfin il avait pour secrétaire un certain Colini, jeune Florentin quelque peu antiquaire, et par conséquent érudit. Celui-ci admirait beaucoup qu’on osât écrire une histoire universelle avec le secours de cinq ou six volumes ; et il s’échappait parfois en sourires que son maître surprenait, et, à part soi, mettait à profit.

Voilà les dispositions qui firent abandonner par Voltaire ce Chapitre des arts, auquel il attribuait d’abord tant de prix. Car ce n’est pas pour avoir donné longtemps ce chapitre comme perdu que le philosophe a renoncé aie comprendre dans son Essai : dans le « tome troisième » publié à Dresde en juillet 54, il le faisait encore désirer, le promettant dès les premières pages, et terminant l’ouvrage sur ce