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suite, avouée celle-ci, et intitulée tome troisième. Mais Jean Néaulme, sans nécessité, dit encore dans sa préface que cet abrégé semble complet, quoiqu’il s’arrête à Charles VII quand le titre promet Charles-Quint ; et il ajoute : « Ainsi il est à présumer que ce qui devrait suivre est cette partie différente d’histoire qui concerne les arts, qu’il serait à souhaiter que M. de Voltaire retrouvât. » Prétexte aussitôt exploité par l’auteur dans sa Lettre à M... : « Mon principal but, dit-il, avait été de suivre les révolutions de l’esprit humain dans celles des gouvernemens. Je cherchais les routes du commerce qui répare en secret les ruines que les sauvages conquérans laissent après eux ; j’examinais comment les arts ont pu renaître et se soutenir parmi tant de ravages. » Cette histoire des arts, ces routes du commerce, c’est-à-dire les voyages des Portugais et la découverte du Nouveau-Monde, qui se trouvaient dans le manuscrit « volé » par Longchamp, il n’en était pas traité dans l’édition de la Haye : donc elle était supposée, donc elle n’était pas son ouvrage véritable. Enfin, nous avons les lettres de Voltaire à Néaulme ; les unes sont publiques et accablantes pour le libraire ; et dans celles qu’il lui écrit en particulier, H lui reproche doucement son impression hâtive et incorrecte, il l’assure qu’il est « avec douleur, mais sans aucun ressentiment, toujours prêt à lui rendre service. »

Il y avait en effet des omissions regrettables dans l’édition de la Haye. Néaulme, dès l’avertissement, avait défiguré cette phrase de Voltaire : « Les historiens ressemblent à quelques tyrans dont ils parlent : ils sacrifient le genre humain à un seul homme. » Il imprima : « les historiens, semblables aux rois, sacrifient le genre humain à un seul homme. » Le philosophe alors se crut perdu, et à tout le moins exilé. A la vérité, je n’ai pas trouvé trace de cet exil aux archives, ni même du moindre blâme : mais après l’aventure de Francfort, c’était beaucoup pour Voltaire que de ne pas trouver à Paris le dédommagement d’un accueil triomphal, tel qu’il le devait recevoir vingt-cinq ans plus tard. Il accusa ses ennemis de Berlin « de vouloir le perdre en France après l’avoir perdu en Prusse, » et parmi ces méchans, il alla jusqu’à compter Frédéric lui-même. Pour se disculper, il pria Malesherbes de supprimer l’ouvrage ; il lui adressa de Colmar le procès-verbal, rédigé par deux notaires, de la collation de son manuscrit véritable avec l’édition de la Haye : dans ces deux volumes, on avait relevé jusqu’à quatorze omissions ou variantes, parmi lesquelles « l’affectation sensible de mettre docteurs à la place d’imans. » Puis, comme personne n’avait garde à ces désaveux, il s’occupa d’amender l’ouvrage en vue d’une édition nouvelle.

Cette édition, qui occupe les tomes XI et suivans des œuvres complètes imprimées par Cramer à Genève, fait avec l’édition Néaulme