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du magistrat : ces papiers étaient l’Histoire universelle, celle du Siècle de Louis XIV, les Campagnes de Louis XV et enfin la Pucelle ; et comme Voltaire, instruit de la restitution, réclamait encore certain manuscrit in-folio de l’Histoire universelle, le secrétaire lui écrivit : « A l’égard du manuscrit in-folio dont vous parlez, épais de trois doigts et qui est une suite de votre histoire générale, je n’en ai jamais connu d’autre que celui que je vous ai envoyé ; mais celui-là n’est point écrit de votre main. Il se trouve encore un manuscrit dans votre bibliothèque à Paris, où il n’y a que peu de pages écrites par vous-même : et c’est aussi une suite de la même histoire. Voilà tout ce que j’ai jamais vu chez vous à ce sujet. Croyez que cet article est la pure vérité. »

On n’examinera pas si, dans cette affaire, Longchamp est tombé, comme il le prétend, dans un piège de Mme Denis. Mais n’est-il pas singulier qu’il nie l’existence du gros in-folio réclamé par Voltaire, et que, d’autre part, il découvre celle d’un petit in-folio, qui s’est conservé jusqu’à nos jours, et que Voltaire déclara toujours avoir disparu ? Car après l’annonce du Mercure, comme on lui signalait diverses copies de l’Essai, l’historien répondait : « Ce n’est pas là ce que je cherche. On m’a volé l’histoire entière des arts. Je m’étais donné la peine de traduire des morceaux de Pétrarque et du Dante et jusqu’à des poètes arabes que je n’entends point : le siècle de Louis XIV devait se renouer à cette histoire générale. Il y a grande apparence que ce malheureux valet de chambre avait aussi volé celui que je regrette, et qu’ille brûla quand ma nièce exigea de lui le sacrifice de tout ce qu’il avait copié. » En décembre 1753, ayant reçu à Colmar « le fatras énorme de ses papiers, » il persista à donner ce manuscrit comme perdu. Il n’y a pourtant pas de doute que le cahier ne se soit trouvé parmi ses papiers : dans une Lettre à M..., professeur en histoire, composée dans ce mois de décembre 1753, sont insérés les passages traduits de Dante et des poètes orientaux.

Ces contradictions cessent d’être un mystère dès qu’on les rapporte à m’Abrégé de l’histoire universelle depuis Charlemagne jusqu’à Charles-Quint, publié en cette fin de 1753 par Jean Néaulme, libraire à la Haye et à Berlin. Ce n’est pas que l’on doive préciser la part directe ou indirecte que Voltaire put avoir dans cette édition. Le libraire, dans sa préface, dit avoir acheté l’une des copies qui, selon l’auteur même, se trouvaient entre les mains de trente particuliers ; et il n’y a rien là d’invraisemblable. Mais Jean Néaulme, dès 1742, avait reçu la promesse de cette édition, et depuis il s’était rencontré à Potsdam avec l’auteur. Mais l’habitude de Voltaire fut toujours de susciter des éditions « fausses » de ses œuvres. Mais le philosophe, pour désavouer ces deux volumes, n’imagina pas mieux que d’en donner lui-même une