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de Fragonard, il adopte un faire lisse, partout égal, partout glacé : le plus vilain « métier » peut-être qui ait jamais paru dans la peinture française.

Retournez-vous vers ses portraits, ou ses « peintures-portraits » comme le Sacre, revenez surtout vers ses portraits inachevés, vers tout ce qu’il a fait sans système : aucun de ces défauts ne s’y retrouve plus. Donc, rien de tout cela ne lui était naturel, tout a été voulu, cherché, conquis. Chez lui, comme chez la plupart de ses élèves, — chez Gros, surtout, — la peinture est une lutte continuelle et tragique entre le devoir et le plaisir : le plaisir qui leur inspire, naturellement et sans grand effort, des chefs-d’œuvre ; le devoir qui, avec beaucoup de peine et d’intelligence dépensées, leur dicte des œuvres froides et insipides. L’antithèse se poursuit partout : chez Gérard : comparez son Murat ou sa Récamier avec sa Corinne au Cap Misène ; chez Girodet : comparez son De Sèze ou son Murat avec son Hippocrate ou sa Danaé ; chez Gros : comparez son Chaptal à son Éleazar ; chez M. Ingres : comparez son Granet et l’esquisse de sa femme avec son Achille ou sa Stratonice. Partout, chez l’élève comme chez le Maître, nous voyons le portrait ou la scène contemporaine dus à son goût instinctif de la réalité, demeurer, après un siècle écoulé, une œuvre admirable. Et partout, nous voyons la grande composition historique, sur quoi il comptait pour passer à la postérité, nous faire douter de son talent. Si, par delà les nues, quelque Fabre étudie, au microscope, les insectes que sont les hommes, il doit être stupéfait des merveilleux ouvrages faits par l’artiste dans les limites de son instinct et du piteux échec des systèmes où sa raison raisonnante est intervenue.


ROBERT DE LA SIZERANNE.