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rendre belles, il s’est appliqué à rendre les physionomies impassibles ! De la statuaire grecque où cette impassibilité est admirable, il l’a transportée dans la peinture où elle n’a que faire. Au début, formé par l’école de Bouclier, il animait encore ses figures. « Voyez-vous, disait-il à son élève Etienne, en lui montrant deux têtes dessinées d’après l’antique, à Rome, dans sa jeunesse, voilà ce que j’appelais, alors, l’antique tout cru. Quand j’avais copié ainsi cette tête avec grand soin et à grand’peine, rentré chez moi, je faisais celle que vous voyez dessinée auprès. Je l’assaisonnais à la sauce moderne, comme je le disais dans ce temps-là. Je fronçais tant soit peu le sourcil, je relevais les pommettes, j’ouvrais légèrement la bouche ; enfin, je lui donnais ce que les modernes appellent de l’expression et ce qu’aujourd’hui (c’était en 1807), j’appelle de la grimace… » Peu à peu, en effet, il parvint à mettre, en peinture, de l’» antique tout cru, » — c’est-à-dire à priver totalement ses figures, non seulement des « grimaces » de Boucher, qui étaient une affectation de la vie, mais de la vie elle-même.

En même temps, il les priva de toute ambiance naturelle et pittoresque. En sculpture, en effet, il ne faut pas d’accessoires, détachés de l’ensemble, surtout pas de simulation, en une matière dure, d’objets souples et effilés, encore moins de paysage, de lointain, de tout ce qui est fluide et vaporeux. Il n’y en a pas, non plus, chez David. Les pièces où se meuvent ses héros sont vides : elles ne peuvent servir qu’à faire de l’escrime. Ses chevaux, comme il s’en vante, n’ont ni mors, ni brides. Quant au paysage, il est purement idéographique. David n’a jamais fait qu’un paysage en sa vie : c’est qu’il était en prison. Quand il veut représenter Leonidas, il donne à un de ses élèves un plan topographique des Thermopyles et il lui fait bâtir une vue perspective là-dessus. Enfin, l’atmosphère est nulle. Une fois ses figures posées, il ne met pas d’air autour. Il compte, comme le sculpteur, sur l’air ambiant pour adoucir, fondre, faire trembler les contours. Sa couleur est lamentable. Pour bien montrer que l’Art doit prêcher l’austérité aux peuples, il semble peindre avec le brouet noir des Spartiates. « Il met du noir et du blanc pour faire du bleu, du noir et du jaune pour faire du vert, de l’ocre rouge et du noir pour faire du violet, » dit Delacroix, et, en effet, dans sa peinture académique, c’est à peu près exact. Sa facture est plus affreuse encore. En réaction contre la touche libre, savoureuse