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s’enfonçant dans l’ombre ou les demi-teintes, comme vus dans un miroir bombé. C’est très frappant dans les Sabines, et rigoureux comme un théorème : on peut l’observer dans toutes ses autres œuvres. Il serait facile de les traduire en bas-relief : ce sont les lois du bas-relief qui les ont dictées.

Une autre loi purement statuaire a dicté ses gestes, loi oubliée à la vérité par notre sculpture moderne, mais très sensible dans l’Antique admiré du temps de David ; l’Apollon, le Laocoon, le Gladiateur, par exemple. Le geste est en extension : il se profile également de tous les côtés ; il est choisi, non pas du tout pour son efficacité, ni pour sa vérité, encore moins pour sa nouveauté ou pour son caractère, mais pour la révélation qu’il nous donne d’un jeu de la machine humaine, pour son équilibre harmonieux, pour sa ligne et sa plastique. Les Horaces, le Socrate, le Romulus, les compagnons de Léonidas peuvent être mis sur un socle, au milieu d’une pelouse : nul n’imaginera qu’ils soient tirés d’un tableau.

De plus, la statue étant, de sa nature, une image matériellement semblable à la figure humaine, il suffirait d’assez peu de chose en couleur et en expression, pour en faire un trompe-l’œil, — comme il arrive dans les figures de cire, — ce qui détruirait toute impression esthétique. Il faut donc s’abstenir non seulement de toute couleur vraie, mais de tout réalisme trop prononcé. Pour la même raison, la figuration de la laideur ou une caractérisation assez forte pour aller aux confins de la caricature, les signes de la maladie ou de la caducité, en un mot, toute chose déplaisante à croire réelle, doivent être évités dans une forme d’art qui les matérialise. La Buveuse accroupie, du Louvre, n’est tolérable qu’à cause de sa petite taille. En peinture, au contraire, il y a nombre d’œuvres admirables où sont représentés non seulement la laideur et la maladie, la vieillesse et la souffrance, mais le grotesque : d’abord, parce qu’elles sont moins matérialisées qu’en statuaire et ensuite parce qu’elles peuvent être magnifiées par la couleur qui, par elle-même et toute seule, est une beauté. Ainsi donc, la laideur n’est pas sculpturale, mais elle est pittoresque. En la proscrivant de sa peinture, en ramenant toutes ses figures à un type uniforme de beauté régulière, David a donné le plus parfait exemple d’ennui qui se puisse imaginer.

Encore, s’il avait varié l’expression ! Mais autant qu’à les