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donc servir de modèle, si modèle il y a, que pour des ouvrages de plastique. Transposer les lois de la statuaire, dans la peinture, et oublier les lois ou les virtualités de la peinture elle-même, c’est se condamner à chercher ce qu’on ne peut atteindre et à se priver de tout ce qu’on aurait dû réaliser. C’est ce que David a fait.

D’abord le nu. « J’ai entrepris de faire une chose toute nouvelle, » disait-il à ses élèves en parlant du tableau des Sabines. « Je veux ramener l’art aux principes qu’on suivait chez les Grecs... J’étonnerai bien des gens : toutes les figures de mon tableau seront nues, et il y aura des chevaux auxquels je ne mettrai ni mors, ni brides... » C’est fort bien dit pour un statuaire, et le lamentable spectacle que nous donnent, sur toutes les places publiques d’Europe, les monumens élevés à nos contemporains, en redingote, en veston, en bottes et chapeau haute forme, prouve assez qu’on a eu grand tort d’oublier cette loi. Mais, en peinture, c’est autre chose, et la plupart des chefs-d’œuvre de tous les temps sont faits de figures vêtues, fût-ce de la plus bizarre façon et de la plus compliquée. La complication même et le fouillis sont une joie pour le peintre. Un coloriste ne se fût pas tenu d’aise devant les uniformes de l’Empire. Se figure-t-on Rubens ou Véronèse en face de Murat ou de Cambacérès, les consuls empourprés passant, comme des flammes, dans un oura- gan d’ors, d’aciers, de buffleteries, le jaillissement des plumets, la cascade des dentelles, le mince croissant des sabres rejoignant l’étoile des éperons ! En s’interdisant le costume contemporain, David s’interdisait toutes ces ressources pittoresques. De plus, il s’obligeait à ne peindre aucun groupement en profondeur, car rien n’est plus déplaisant qu’une foule d’académies gesticulantes, qu’une grappe humaine. En dépit du Jugement de Michel-Ange, et de quelques Damnations de Rubens, on ne voit pas que l’artiste ait jamais pu se tirer d’une foule où tous les plans sont occupés par des académies.

Aussi David ne l’a-t-il pas fait ! Il a observé qu’en sculpture, on ne pouvait donner l’idée de la profondeur, ni du lointain. Sa peinture en est donc dépourvue. Sa composition se développe toujours en longueur, jamais en profondeur. Non seulement elle ne creuse pas, mais elle bombe. C’est de la peinture convexe, les figures centrales étant toujours les plus en avant et les plus éclairées, les figures latérales ou le décor latéral tournant et