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II

Et pourquoi ne le sont-ils pas, et d’où vient une si prodigieuse erreur ? Nous le découvrirons aisément si nous examinons les opérations purement intellectuelles d’où est sorti l’art de David. A la base, une observation juste, immédiatement déviée par une généralisation hâtive, puis une loi issue de cette généralisation poussée, par le goût qu’a l’esprit français pour l’absolu, jusqu’à ses extrêmes conséquences, c’est-à-dire jusqu’à l’absurde : voilà l’histoire de la pensée davidienne.

D’abord, un besoin de réaction contre l’école de Boucher. Il y a une lettre de Mme Vigée-Lebrun très significative à cet égard. Etant à Londres, en 1802, elle écrit à un peintre anglais : « Pour ce qui concerne notre temps, vous auriez le plus grand tort si vous jugiez l’école française sur ce qu’elle était il y a trente ans (1772). Depuis cette époque, elle a fait d’immenses progrès dans un genre tout contraire à celui qui l’a fait dégénérer. Ce n’est pas cependant que l’homme qui la perdit alors ne fût point doué d’un très grand talent. Boucher était né coloriste. Il avait du goût dans ses compositions, de la grâce dans le choix de ses figures ; mais, tout à coup, ne travaillant plus que pour les boudoirs, son coloris devint fade, sa grâce de la manière, et l’impulsion une fois donnée, tout le monde voulut l’imiter. On exagéra ses défauts, ainsi qu’il arrive toujours ; ce fut de pire en pire et l’art semblait éteint sans retour. Alors il vint un homme habile, nommé Vien, qui parut avec un style simple et sévère... Depuis, notre école a produit David, le jeune peintre Drouais mort à Rome à l’âge de vingt-cinq ans, alors qu’il allait peut-être nous sembler l’ombre de Raphaël, Gérard, Gros, Girodet, Guérin et tant d’autres que je pourrais citer. » — C’est toute l’exposition du Petit Palais que la charmante femme nous invite à visiter...

Ne la chicanons pas sur le mépris qu’elle témoigne pour une époque où vivaient Chardin, Fragonard, Greuze, Perronneau, La Tour : notre critique actuelle prononce, peut-être, en ce moment, sur les peintres d’hier, des arrêts qui ne seront pas davantage ratifiés après-demain. Ne retenons de son jugement que le besoin qu’il témoigne d’une réaction contre l’école de Boucher. Ce besoin était général. On était las du rococo et du chiffonné,