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découvrir tous les six mois le modèle incomparable qui renouvellera le goût du monde ; ni croire qu’une œuvre d’art mérite de devenir un modèle par la seule raison qu’aujourd’hui elle nous donne du plaisir ou même qu’elle nous fait pâmer d’admiration ; ni surtout confondre capricieusement les modèles, comparer un drame à un modèle lyrique, une sculpture à un modèle musical, et réciproquement. Le beau naît d’une limitation ; par conséquent, chaque modèle ne vaut et les rapprochemens ne sont possibles que pour les œuvres qui partent de la même définition première et limitée de la Beauté. Comparez les architectures classiques aux classiques, les gothiques aux gothiques, les baroques aux baroques ; mais ne comparez pas les baroques aux gothiques ou les gothiques aux classiques. Tenons donc à l’œil l’Esthétique, et ne donnons pas raison à Alverighi qui veut que l’art ne soit qu’un dispendieux passe-temps, comme le Champagne et les cigares de la Havane... Il y a un art menu, caduc, dont la fonction n’est que de divertir, de faire passer le temps, de donner un plaisir fugitif : la comédie amusante, le roman qu’on lit en chemin de fer ou à la campagne, le concert, la mode. En ce qui concerne ces arts-là, reconnaissons aux hommes ce droit qu’Alverighi réclamait pour notre siècle dans tous les arts, — le droit pour chacun de jouir du beau à sa guise ; — et que, là, l’Esthétique ait droit de vie et de mort ! Mais il y a aussi les grands modèles de l’art national, les chefs-d’œuvre où ont pris corps, pour ainsi dire, les différens principes du beau créés de siècle en siècle par l’esprit humain ; les principes qui servent constamment de termes de comparaison et qui maintiennent ainsi vivante la beauté en raffinant notre faculté de juger qu’une chose est plus belle et qu’une autre l’est moins. Dans ceux-ci, ne l’oublions jamais, l’art n’est plus un passe-temps ; il est une limite, comme la morale : une de ces nombreuses limites qui font le monde varié et divers, et qui, par là, sont la raison même de la vie et du progrès. Devant ces derniers, doucement ! Ce que je demande à notre époque, c’est de ne pas les re-comprendre et les re-révéler au monde tous les six mois, et de ne pas s’en servir comme d’un simple instrument pour sa vanité ou pour son plaisir. Non : les modèles doivent être admirés avec modestie, avec désintéressement personnel, avec un esprit conscient d’une discipline nationale ; et les nouveaux doivent être ajoutés aux anciens avec une discrétion