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La phrase n’était pas très limpide, et nous demandâmes des éclaircissemens. Rosetti continua :

— Si le progrès n’est pas une illusion, il doit être quelque chose comme une force ou une loi par l’effet de laquelle le temps et la durée amélioreraient le monde, si bien que, en dépit de Méphistophélès, le fait d’être un descendant serait un avantage. Or la seule façon que j’aie d’imaginer que le monde puisse s’améliorer en durant, c’est de penser que, sans interruption, d’âge en âge, l’homme crée et épuise de nouvelles formes de la Beauté, de la Vérité et de la Bonté ; de sorte que les générations suivantes, à condition toutefois qu’elles sachent conserver une partie de ce qu’ont créé les générations précédentes, arrivent à connaître et à posséder un plus grand nombre de modèles. C’est seulement si nous l’entendons ainsi, je crois, que nous réussirons à souder ensemble dans le principe du progrès la quantité et la qualité. Pourquoi, comme dit Horace, multa renascentur quæ jam cecidere, idées, sentimens et formes d’art ? Pourquoi, par exemple, Théocrite a-t-il pu renaître dans Virgile, Théocrite et Virgile dans le Tasse et dans Guarino, et tous les quatre dans les poètes pastoraux français du XVIIIe siècle ? Autre exemple : pourquoi une si grande partie de la vieille morale hébraïque a-t-elle revécu dans les premières sectes protestantes ? En somme, un principe épuisé est comme une terre usée : il peut reprendre vie et force en dormant quelques siècles, pourvu que le souvenir s’en soit conservé. Ainsi, plus tard un homme naît et plus il arrive heureusement dans cette vallée de larmes : car il trouve dans la tradition un plus grand nombre de modèles et de principes endormis, qui attendent le réveil. Vous me direz que tous les principes d’art et de morale ne peuvent pousser de nouvelles feuilles et produire de nouveaux fruits semblables à ceux qu’ils ont produits autrefois. Cela est vrai : nous ne pourrons reconstruire ni le Parthénon, ni le Panthéon, ni le Dôme de Sienne, ni le Palazzo Vecchio, ni la colonnade de Saint-Pierre et à plus forte raison nous ne pourrons refaire ni la cité antique, ni l’Empire romain, ni le Christianisme, ni la Révolution française. Mais nous pouvons comprendre et admirer tous ces monumens, de même que nous comprenons et admirons la céramique grecque, la médiévale, la chinoise, quoique nous ne sachions plus les refaire ; mais nous avons mélangé dans les nations modernes les plus belles vertus de la cité antique, par exemple