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même mis dans son action militaire un redoublement d’énergie suggestionné sans doute par l’exemple des Bulgares dont l’effort victorieux est venu à bout de la résistance d’Andrinople. Andrinople a succombé; Janina a succombé; pourquoi Scutari ne succomberait-il pas aussi ? Et, s’il succombait, l’Europe ne s’inclinerait-elle pas devant le fait accompli, comme elle l’a fait ailleurs ? Il y a une différence pourtant, et elle est importante : c’est que l’Europe ne s’était jamais opposée à la prise de Janina par les Grecs et d’Andrinople par les Bulgares et que, tout au contraire, elle avait conseillé à la Porte de renoncer à des villes perdues pour elle moralement avant de l’être matériellement et définitivement. Parlons donc tout d’abord de cette affaire de Scutari, qui met en opposition le Monténégro et l’Europe : nous dirons ensuite un mot, pour finir, des nouvelles prétentions des alliés.

La question de Scutari a été traitée, non seulement par M. de Bethmann-Hollweg devant le Reichstag, mais encore et presque en même temps par sir Edward Grey devant la Chambre des Communes, et ce second discours, bien qu’il embrasse un ensemble de faits moins vaste que le premier, ne présente pas un moindre intérêt. Les deux orateurs se sont servis d’expressions qu’on peut qualifier d’équivalentes pour indiquer la gravité de la situation où l’Europe s’est trouvée et dont elle n’est pas encore sortie. Après avoir rappelé que les grandes Puissances, grâce à leur désintéressement territorial, avaient réussi à localiser le conflit oriental : « Une tension, a dit le chancelier allemand, s’est toutefois produite. Elle a duré des mois et a contraint les puissances le plus directement intéressées, l’Autriche-Hongrie et la Russie, à prendre des mesures militaires extraordinaires. Je ne veux pas dire que nous ayons été à un moment quelconque tout près de la guerre; mais, à diverses reprises, il a fallu que les Cabinets eussent pleinement conscience de leur responsabilité pour réussir à enlever à des différences d’opinions, à des oppositions d’intérêts, l’acuité qui aurait pu conduire à une explosion violente. » De pareilles expressions, chez un orateur aussi maître de lui que M. de Bethmann-Hollweg, sont de nature à faire impression. Sir Ed. Grey, parlant du même sujet, n’a pas été moins expressif dans sa brièveté. Après avoir justifié, au moyen d’argumens sur lesquels nous allons revenir, l’arrangement qui a été arrêté par la Réunion des ambassadeurs à Londres au sujet de Scutari : « Cet arrangement, a-t-il affirmé, était essentiel pour la paix de l’Europe, et il n’est intervenu que tout juste à temps pour maintenir l’accord entre les Puissances. » On a critiqué