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rien qu’une espèce d’outre gonflée de formules emphatiques et de bonne chère ; et jamais peut-être la richesse inépuisable du vocabulaire de l’éminent écrivain ne s’est déployée devant nous aussi librement que lorsqu’il s’est agi pour lui de varier les épithètes ou qualifications injurieuses à l’adresse de cette grotesque caricature des vieux héros romains : mais comment admettre qu’un personnage aussi nul soit parvenu à jouer un rôle historique aussi important ? Comment ne pas deviner chez lui certaines qualités d’ordre plus ou moins haut, un don naturel de séduire les masses ou une secrète habileté à les dominer, un élément efficace de puissance ou de ruse, en un mot quelque chose de « positif » et d’original, au lieu du simple néant que voudrait nous laisser supposer la verve méprisante de son nouveau biographe ?

C’est là, me semble-t-il, un défaut artistique assez grave, et que l’on retrouverait en vérité dans maints portraits d’Holbein, trop souvent désireux de ne se point compromettre en poussant aussi loin qu’il le pourrait la traduction du caractère intime de ses modèles : mais certes, ce défaut ne se retrouve pas dans l’Érasme du Louvre, ni non plus dans ces anciens portraits littéraires de Salluste et de Tite-Live, de Tacite et de Plutarque, dont il faut reconnaître que, bien plus encore que les chefs-d’œuvre des peintres, ils ont inspiré le très intéressant Rienzi de M. d’Annunzio. Et je ne puis m’empêcher de penser que l’auteur des Vierges aux Rochers, avec la singulière souplesse de son talent, aurait tiré un parti plus complet et plus heureux, tout ensemble, de son imitation de ces immortels créateurs de vie et de beauté, s’il s’était un peu moins soucié d’étonner ou de ravir les érudits académiciens de la Crusca. Une recherche moins assidue de mots savoureux lui aurait permis d’apporter plus de soin à cette partie, plus proprement « classique » et « humaine, » de sa tâche ; en même temps qu’elle aurait enlevé à sa Vie de Rienzi une fâcheuse apparence d’amplification ou de divertissement académique, qui ressort à présent de toutes les pages de son « petit livre, » risquant parfois de nous faire oublier tout ce qu’il contient, cependant, d’érudition et de fantaisie, — tout ce que l’auteur y a mis de sa science d’historien et de sa souveraine évocation de poète.


T. DE WYZEWA.