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comme nous l’affirme, en particulier, le chanoine Filippo Pieruzzi, c’est là « une composition où se trouvent vraiment réunies toutes les grâces des Muses ; » — et je suis certain que chacun s’accordera avec moi pour envier à M. d’Annunzio son heureux privilège d’avoir pu exciter, dans le cœur du bon chanoine florentin, le magnifique enthousiasme que nous révèlent ces paroles touchantes de son imprimatur.


« Toutes les grâces des Muses : » impossible de mieux définir ce superbe morceau de prose « poétique » où nous sentons que l’auteur s’est amusé à étaler devant nous son incomparable maîtrise de la langue toscane. Jamais assurément, dans toute son œuvre précédente, cette maîtrise ne s’était traduite à nous avec une aussi étonnante « bravoure » professionnelle, ni non plus, — serais-je tenté d’ajouter, — aussi « à découvert, » je veux dire avec une aussi complète subordination de tous les autres modes de la création littéraire à l’incessante recherche de termes pittoresques et musicalement agencés. Parfois même, le lecteur étranger s’effare devant la riche variété, toujours renouvelée, d’un vocabulaire dont l’excellente qualité classique lui est d’ailleurs confirmée par la susdite « approbation » de la sévère Académie de la Crusca ; et peut-être ne serait-il pas fâché que l’auteur lui épargnât l’obligation de recourir sans cesse à son dictionnaire italien-français, sauf à devoir trop souvent constater la regrettable insuffisance de tous les dictionnaires en face d’une langue qui semble avoir pieusement recueilli l’héritage complet de longs siècles de poésie et de prose toscanes. Mais combien nous comprenons qu’une telle langue soit faite pour enchanter le lecteur italien, et que ce soit assez d’elle seule pour valoir à M. d’Annunzio, malgré toutes les rigueurs nécessaires de l’Index, l’affectueuse indulgence paternelle du chanoine Pieruzzi ou du frère Telesforo Cerusichi !

Non pas au moins que le livre nouveau de M. d’Annunzio doive être tenu simplement pour un pur et savant exercice de langue, destiné à satisfaire les « censeurs » les plus difficiles de l’Académie de la Crusca ! A sa maîtrise naturelle d’expression le biographe de Rienzi unit encore, comme l’on sait, un don singulier d’évocation colorée et vivante : si bien que, par-dessous le charme sans pareil de son style, son livre nouveau est tout rempli de petits tableaux d’un relief admirable, dont quelques-uns rappellent les plus parfaites peintures de ses romans de naguère, tandis que d’autres se rattachent plus expressément à l’ancienne manière des classiques latins, avec leur mélange saisissant de vigueur pathétique et de concision.