Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme un devancier des Mazzini et des Garibaldi, tâchant déjà à restaurer un pouvoir tout civil dans la cité de saint Pierre, sur les ruines du pouvoir spirituel de la Papauté ? Et certes l’attitude du trop fameux tribun à l’égard du Saint-Siège, son manquement réitéré aux promesses obtenues de lui par les papes d’Avignon, son refus d’obéir aux sommations des légats pontificaux, toutes choses dûment rappelées par son nouveau biographe, méritaient amplement qu’un lecteur catholique se réjouît de le voir ainsi précipité du piédestal où s’était plu à l’élever la partialité d’historiens ennemis de l’Église. Mais il ne me parait point que M. d’Annunzio se soit spécialement inspiré, à son tour, d’aucun sentiment de partialité catholique, dans l’ensemble de son opinion à l’endroit du tribun. D’un bout à l’autre de son livre, sa légitime colère s’adresse uniquement au caractère foncier de Rienzi, à sa bassesse naturelle d’esprit et de cœur, à son infinie dissemblance avec ces vieux héros romains dont il se prétendait le continuateur, sans que jamais le poète-biographe s’arrête à envisager expressément la portée religieuse de son rôle. De telle sorte que la Vie de Rienzi peut fort bien offrir à des lecteurs de l’espèce du Frère Telesforo Gerusichi ou du chanoine Filippo Pieruzzi la satisfaction éprouvée, tous les jours, par chacun de nous en voyant attaquer des renommées qui nous sont odieuses ; mais je ne crois pas que l’intention secrète de M. d’Annunzio ait été de renfermer pour nous d’autres « leçons, » dans son « petit livre, » que celles qui résultent toujours du contact d’une œuvre d’art animée d’émotions généreuses, et puis conçue, ordonnée, et exécutée avec un très haut souci de perfection artistique.

Jamais livre n’eut moins que celui-là les allures d’une « thèse, » malgré l’évident parti pris de l’auteur contre son héros. Ayant entrepris d’examiner la personne de Cola Rienzi, afin de pouvoir la revêtir à notre usage de belles phrases rythmées en pure langue toscane, M. d’Annunzio a trouvé là un ensemble de choses d’un ordre si contraire à ses propres goûts que, tout de suite, il s’est mis à haïr ce type du faux grand homme ; après quoi, il ne s’est plus soucié que de nous raconter, telle qu’il l’avait aperçue dans les vieilles chroniques, l’aventure tragi-comique du piteux personnage, sans s’inquiéter de nous cacher son aversion pour lui, mais sans essayer non plus de prêter à celle-ci un caractère « instructif, » ou « édifiant, » qu’elle n’avait à aucun degré. Et d’autant plus, — par l’effet de cette absence même de toute apparence de « thèse, » — le livre de l’éminent écrivain italien justifie les autres éloges de ses deux vénérables juges. Tout à fait