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mari sa sœur a pris sa place, Barbara, sous prétexte d’aller au loin, se guérir, quitte la maison et laisse le champ libre aux amoureux. Ceux-ci d’en profiter aussitôt. Non, pas aussitôt, car ils résistent longtemps, avant la chute finale. Une tendresse encore chaste inspire à Joris des vers tels que ceux-ci :


 O bonheur innocent, profond, silencieux,
De mirer mes yeux dans tes yeux.
Sans qu’au fond de ce lac délicieux
Mon devoir se noie et trépasse.


Mais bientôt le trouble de la passion croissante s’exprime en ce moins paisible quatrain :


Oh ! combien ses façons douces
Me donnent un rude émoi !
C’est, au plus profond de moi.
De chavirantes secousses.


Quant à la scène qui décide ou plutôt qui décidait de la faute, elle se passait à l’église. C’est à l’église que Godelieve, en termes déjà singuliers, donnait rendez-vous à Joris. C’est devant l’autel, et l’autel de la Vierge, au chant des litanies, qu’ils prononçaient, ou proféraient ensemble, en un langage encore plus déplacé, des sermens peu recevables ici. On a supprimé cet épisode le lendemain de la répétition générale. C’est la veille qu’on aurait dû le faire.

Au début de l’avant-dernier tableau, nous sommes témoins des remords, inégalement partagés d’ailleurs, de Joris et de Godelieve. Suit une scène entre les deux sœurs : Barbara de retour, sobrement douloureuse, et Godelieve, repentante avec exaltation. Enfin le dénouement a lieu sur un quai de Bruges, en vue du beffroi. Godelieve est entrée chez les Béguines. Aujourd’hui même elle doit prendre part à la procession, dite du Paraclet, qui va passer, et que Joris, à demi fou de désespoir, attend. La voici, composée de pénitentes, chacune portant ou traînant une lourde croix. Dans le cortège expiatoire, Joris a vite reconnu Godelieve. Il s’élance vers elle, il la supplie et tâche de la reprendre. Elle ne lui répond que par d’impassibles psalmodies. Impassibles elles-mêmes et singulièrement inattentives, les nonnes, agenouillées à trois pas de là, continuent leurs patenôtres. Joris alors s’enfuit éperdu. Se souvenant qu’il est carillonneur, il a résolu de mourir selon sa condition, d’une mort affreusement professionnelle. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire et surtout, il me semble, pour le faire, il gravit les degrés, gagne le sommet de la tour, et voici