Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/934

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


J’aurais voulu que ma fillette,
Au lieu d’avoir chimère en tête,
Épousât quelque jour quelque brave garçon.
Je les voyais s’aimer, être heureux, se le dire…
Et j’entendais le rire
De quatre ou cinq mioches
Grimpant sur mes genoux, s’agrippant à mes poches.


À ces paroles, toujours « d’après » Musset, la musique est exactement assortie. Sur le dernier des trois mots : « se le dire, » un long point d’orgue s’attarde, plein de signification et de promesses. L’ensemble forme un petit chef-d’œuvre de sensibilité bourgeoise. On croirait un Greuze, d’Épinal. Rien de plus touchant, et, puisque nous parlons images, cela fait songer, révérence gardée, à certain tableau que vous savez, qui représentait de modestes oignons, et dont cet insolent de marquis de Prestes disait, à son Poirier de beau-père, que c’était à tirer les larmes des yeux.

Après tout, il n’est pas impossible que, dans le théâtre et dans le quartier, populaires l’un et l’autre, où se joue Carmosine, Carmosine fasse pleurer. Musset encore a dit :


Mais une larme coule et ne se trompe pas.


Alors c’est nous qui nous trompons, et cela peut arriver aussi. Enfin il serait injuste de ne pas signaler, parmi les choses aimables de l’ouvrage, la mélodie écrite sur l’adorable complainte de Minuccio :


Va dire, Amour, ce qui cause ma peine…


Ici d’abord les paroles ne sont plus « d’après » Musset, mais de Musset lui-même. Et la musique semble s’en ressentir, en éprouver une influence plus profonde et comme un frisson inconnu. Sans doute elle ne vaut pas, la chanson de Minuccio, les deux chansons de Fortunio : l’une, écrite récemment par M. Messager, et l’autre, qui reste la perle du genre, composée par Offenbach il y a plus d’un demi-siècle. Elle n’est pourtant pas indifférente. À l’exemple de M. Messager, M. Février s’est affranchi de la forme strophique. Sa mélodie suit un libre chemin. De faciles artifices, comme l’altération de telle ou telle note, donnent à la cantilène un petit air ancien et troubadour. La reprise, à la fin, de la phrase initiale, sur un autre accompagnement, qui l’attendrit encore, n’est pas maladroite. Et puis, et surtout la poésie de cette dernière strophe est telle, si délicieuses en sont les paroles.