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pas rechercher un autre. Comme la plupart, hélas ! de leurs congénères, les deux librettistes « d’après » Musset n’ont pas compris et pris ainsi la chose. Carmosine leur ayant semblé maigre, ils ont mis quelque chose autour ; ou plutôt ils en ont développé les élémens négligeables et par Musset négligés à dessein. C’est pour l’avoir vu combattre et vaincre en un tournoi, que l’humble fille de maître Bernard et de dame Pâque s’est éprise du roi Don Pèdre, et languit et se meurt d’un impossible amour. « Est-il rien de plus naturel à une jeune fille sans expérience, que de sentir son cœur battre tout à coup pour la première fois, à la vue de tant d’armes resplendissantes, de tant de chevaux, de bannières, au son des clairons, au bruit des épées ! Ah ! quand j’avais son âge !... » Dame Pâque n’en dit pas plus. Et maître Bernard de répliquer, plaisamment : « Quand vous aviez son âge, dame Pâque, il me semble que vous m’avez épousé, et il n’y avait point là de trompettes. » Ces messieurs ont voulu que, dans leur comédie musicale, il y en eût, des trompettes, et beaucoup. Moins retenus que dame Pâque, ils ont consacré non pas quatre lignes, mais tout un acte, le premier, si ce n’est au tournoi lui-même, du moins aux apprêts, aux abords, à l’issue du tournoi. Cela fait spectacle, mais cela ne fait pas autre chose, et c’est peu. Ce n’est pas beaucoup non plus, au troisième acte, que le tableau, tout extérieur et, par surcroît, un peu bien crûment coloré, de la « cour d’amour. » On eût souhaité d’entendre dans un « milieu, » plus intime, bien que royal, soupirer la célèbre et délicieuse complainte de Minuccio. Ainsi deux actes sur quatre ne sont que prétexte à mise en scène. Ils faussent, en le grossissant, le style général d’une œuvre exquise, où tout est demi-teinte, mezza voce, réserve et mélancolique douceur. Que n’y a-t-on point ajouté du dehors ! Mais, au dedans que n’en a-t-on pas retranché ! Comment surtout avoir supprimé certaine scène entre Carmosine et la reine, aux approches du dénouement, dont cette rencontre délicieuse fait en quelque manière le principal et le plus fin ressort.

Si du fond maintenant on passe à la forme, au langage, il faut avouer encore que la locution consacrée : « d’après Musset, » comme souvent ailleurs « d’après » Shakspeare, ou « d’après » Gœthe, marque en effet une certaine distance. Ces gens-là parlent « d’après » Musset, mais loin, très loin après ou derrière lui. Carmosine abonde en passages tels que le suivant :


Mon cœur s’étonne et s’extasie
Comme une fleur que déclôt le printemps.