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que cette méchante passât pour bonne, loyale et digne de la confiance universelle. Cela était nécessaire pour rendre possible le coup de théâtre du second acte et le brusque changement de front qui en est la conséquence. Il fallait qu’il y eût erreur sur la personne, sans quoi le mouvement de la pièce, son dessin et l’espèce particulière d’intérêt et de plaisir qu’elle produit n’existaient plus. Cet intérêt est celui de la curiosité ; ce plaisir est celui de la surprise, propre au mélodrame comme au vaudeville. Je ne sais plus dans quel vaudeville de ces dernières années on nous montrait au premier acte une dame de province, très convenable et même un peu prude. On la retrouvait au second acte à Paris, où, sous un autre nom, elle figurait parmi les plus folles cascadeuses. De cette dualité résultait une série d’aventures ahurissantes. De même les personnages de M. Bernstein ont, le plus souvent, une personnalité double. Plus ils ont un air d’honnêtes gens, plus ils sont haut placés dans l’estime du monde, et plus on peut être assuré que ce sont d’affreux coquins. Vous preniez Gabrielle pour une sainte nitouche : vous vous apercevez tout à coup que c’est un diable. C’est le quiproquo à la manière noire.

Une remarquable entente de la scène, un art sûr et sommaire, un dialogue où l’on vise seulement à se faire comprendre, tel est l’ensemble de procédés, d’un incontestable effet sur le public, qui fait le succès du Secret comme il avait fait le succès du Voleur. Tout se renouvelle. Le mélodrame de nos pères, empanaché et bon enfant, n’est plus à la mode du jour. Scribe s’était fait, jadis, une spécialité d’un genre composite qu’il appelait la comédie-vaudeville. On définirait assez bien celui où excelle M. Bernstein : la comédie-mélodrame.

Mme Simone est excellente dans le rôle cruellement antipathique de Gabrielle ; Mlle Madeleine Lély très touchante dans le rôle un peu niais et simplet d’Henriette. M. Garry, le mari, a gagné en autorité et en bonhomie. M. Victor Boucher a dessiné avec beaucoup d’agrément la silhouette de Le Guenn, l’amoureux timide.


Le mois théâtral a été très chargé. J’ai déjà dépassé la place qui m’est ordinairement réservée. Force m’est donc maintenant de me résumer. Je me borne à signaler deux pièces à cadre exotique, et qui font plus ou moins vaguement songer à de récentes « affaires sensationnelles » dont s’est entretenue la chronique mondiale

L’une, à l’Athénée, de M. Abel Hermant, la Semaine folle. Un grand seigneur russe, le prince Kamenski, a quitté sa femme, Fedosia, tout en continuant de l’aimer et d’en être aimé. Croyant favorable l’occasion