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forme vaut par sa délicatesse, attestant une crainte continue de forcer la note. L’esprit, partout répandu dans le dialogue, n’a jamais l’insistance provocante du « mot d’auteur. » C’est une mousse légère, l’humour d’une conversation entre « honnêtes gens, » une façon vive, originale, de dire les choses avec un sourire d’ironie et parfois de tristesse.

Mlle Vera Sergine est très émouvante dans le rôle d’Hélène Ardouin. M. Rozenberg a donné à Sébastien Réal ce Je ne sais quoi de falot qui est bien dans le caractère du personnage. M. Lérand prête au raisonneur Barois l’ironie coupante qui convient à ses propos. M. Joffre a prêté son habituelle sûreté de composition pittoresque à l’amusant personnage du bluffeur Cabaniès.


Et maintenant, est-ce que s’annonce, comme je l’ai lu un peu partout et comme je le souhaite, un retour vers le théâtre psychologique ? Est-ce, comme l’a écrit M. Faguet, la comédie de caractère qui nous revient ? Commençons par écouter la pièce de M. Henry Bernstein, le Secret, qui a donné lieu à ces heureux pronostics et qui, chaque soir, aux Bouffes-Parisiens, obtient un vif succès.

Gabrielle Jeannelot est une femme que son mari adore : il l’adore depuis onze ans, et chaque jour un peu plus ; car elle est de celles qui gagnent à être connues. Cette adorable femme est aussi bien une amie incomparable : sa loyauté, sa droiture, son tact, sa discrétion inspirent à tout son entourage une confiance absolue. C’est à elle qu’on s’adresse dans les cas difficiles, comme à l’arbitre qui juge en dernier ressort. Le petit Le Guenn qui aime une jeune veuve, Henriette Hozleur, et est à l’instant de la demander en mariage, est arrêté par un dernier scrupule : que Gabrielle dise un mot, et ce scrupule s’évanouira. Telle est l’autorité qui s’attache aux paroles de certaines personnes investies de l’estime universelle... Henriette prie Gabrielle de recevoir le petit Le Guenn, la charge de dire à ce brave garçon ce qui conviendra pour que ce mariage qu’elle souhaite se fasse, et remet donc en toute tranquillité entre ces mains sûres le meilleur de son avenir. Le Guenn est un timide, une âme inquiète, et il est amoureux : donc il est jaloux. Il n’est pas jaloux de celui qui fut le mari d’Henriette : c’était un mauvais mari et il est mort. Mais n’y a-t-il pas eu un amant ? C’est la question, — assez naïve, — que ce bon jeune homme est venu poser à Gabrielle. Celle-ci délivre le certificat de vertu demandé : Le Guenn, complètement rassuré, épousera. Alors, et comme Henriette remercie son amie du nouveau service qu’elle vient de lui rendre, elle en reçoit un conseil, un peu scabreux, un peu rude,