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tous la lui conseillent, et d’abord sa vieille cousine, Mlle Messany : « Tu devrais l’accepter, car ta situation n’est pas excellente. On ne peut pas dire positivement que tu aies trompé ton mari, puisqu’il t’avait abandonnée. Mais enfin, n’est-ce pas ? tu as pris un amant, comme on dit, et tu étais mariée. Ce n’est pas grave, si tu veux, surtout avec les idées d’aujourd’hui ; mais tu n’aurais pas pris d’amant, ça ferait une différence : tu serais dans une meilleure posture. » Non, Hélène n’est pas dans une bonne posture. Elle n’est pas à un heureux tournant de sa vie. Elle reçoit la visite d’une sœur de Sébastien Réal : elle s’aperçoit, en causant avec la jeune fille, que le frère et la sœur ont tout organisé pour se faire une existence en commun où il n’y a, pour la maîtresse qu’elle est, aucune espèce de place. C’est un congé implicite. Il reste que son amant lui-même lui en donne confirmation. Sébastien n’y manque pas. Il expose qu’il a accepté une situation d’ingénieur dans les Landes : il se fait scrupule d’emmener la jeune femme si loin de Paris, dans une région si sauvage. « Tu aurais moins de scrupules, si tu avais plus d’amour, riposte judicieusement Hélène. Mais tu ne m’aimes plus. Conseille-moi donc de me réconcilier avec mon mari ! » Ce conseil, Sébastien n’ose pas le formuler, mais il n’en a guère besoin : sa conduite, son attitude, sa gêne, son silence, tout crie de quelle ardeur il souhaite cette solution libératrice.

La vraie libératrice, c’est la mort. Que faire maintenant d’Hélène ? Sa vie a été gâchée, par les autres et par elle-même. Le mieux pour elle est de s’en aller : elle est emportée par une crise de la maladie de cœur dont nous l’avons vue souffrir tout le long de la pièce. Cette mort était dans la logique de la situation. Nous aurions eu bien de la peine à admettre qu’après son aventure, Hélène, pareille à son homonyme antique, reprit au foyer conjugal sa place respectée. Je regrette seulement que l’auteur ait cru devoir nous mettre sous les yeux le spectacle pénible de son agonie. Depuis les Flambeaux jusqu’à Hélène Ardouin, sans oublier la reprise de Cyrano, nous aurons vu mourir beaucoup de monde sur la scène cet hiver. Ce dernier acte, l’acte mortuaire, me paraît, dans chacune de ces pièces, le moins bon de tous. Mais il faut croire que les auteurs connaissent leur public ; ils ont diagnostiqué chez lui ce goût des larmes provoquées par une émotion toute physique.

Hélène Ardouin est une comédie d’un tour élégant et très littéraire, où l’observation et le sentiment se mêlent dans des proportions très justes et dans une harmonie de nuances très fines. La