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finesse et l’aristocratie que nous venions y chercher autrefois et qu’on ne trouvait que chez lui. On n’est plus dans un salon, on est dans une gare énorme où chacun peut aller au guichet, pourvu qu’il ait de quoi payer sa place. » Le moyen de parvenir dans cette cohue ? Jouer des coudes, mais surtout se tenir les coudes. « Aujourd’hui on n’arrive plus seul ; on n’arrive même plus le premier : on arrive en bande. » Est-il besoin d’ajouter que tout scrupule de délicatesse y coûte cher ? Sébastien Réal a été placé auprès de Cabaniès en qualité de secrétaire. Cela lui donne l’occasion d’assister à deux scènes dont le rapprochement est tout à fait suggestif. Dans la même soirée, il voit Cabaniès décoré pour la triomphante « manifestation d’art » dont il est l’organisateur, et menacé des tribunaux pour incorrections commises dans un casino dont il est le directeur. Charmante soirée ! Sébastien Réal sent le dégoût lui monter à la gorge : il n’a pas ce qu’il faut pour réussir à Paris. Et pourtant ! Au moment d’envoyer sa démission à Cabaniès, il éprouve quelque chose qui ressemble à de l’hésitation : telle est déjà sur lui l’influence du milieu, et tels sont les progrès de la contagion. Il sent que le pied lui glisse sur ce pavé de Paris, si scabreux. « Ce qui est grave, c’est que je ne me sens plus aussi sûr de moi qu’à mon arrivée à Paris. C’est que les quelques semaines que je viens de passer auprès de cet homme qui ne peut pas faire un geste sans que l’argent sonne dans toutes ses poches m’ont donné à moi aussi un peu de désir et de fièvre. Est-ce que je savais ce que c’est que l’argent, moi ? Je croyais que ça se gagnait durement, par le travail et par l’effort, et je m’aperçois que ça se rafle avec de la chance ! Alors, à mon tour, je suis tenté. Oui, oui, je suis plus tenté que je n’ose me l’avouer à moi-même. » Ce phénomène de la démoralisation par l’exemple est d’une observation excellente.

Sébastien Réal n’est pas fait pour la vie de Paris. Il le remarque justement. « Chacun, dit-il, a son caractère, ses idées, sa chance, une sorte de ligne directrice suivant laquelle s’organisent tous les événemens de sa vie. » Cette ligne, pour lui, ne passe pas par Paris. Il n’est pas fait davantage pour la grande passion : cela non plus n’est pas dans sa ligne. Il complote de s’évader. Et voici que s’annonce pour Hélène l’abandon menant à cette issue, la plus plate de toutes : la réconciliation avec son mari. Elle va en avoir, au cours du quatrième acte, la sensation grandissante ; et c’est ce progrès d’une conviction douloureuse qui fournira le dessin et le mouvement de l’acte. Hélène commence, bien entendu, par repousser avec horreur la seule idée de cette réconciliation que lui propose sa belle-mère. Mais tout l’y achemine ;