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entre le conventionnel et l’impératif, lutte qui travaille et qui travaillera le monde à jamais. Le beau, le vrai et le bien sont absolus en soi, éternels, divins, infinis, impérissables. Sur ce point, il est inutile de sophistiquer : ce sont là des vérités nécessaires. Le Vrai est vrai, et il ne peut pas être faux ; le Beau est beau, et il ne peut pas être laid ; le Bien est bien, et il ne peut pas être mal : voilà les axiomes de la vie. Si nous ne les admettons pas, nous ne pouvons plus vivre, de même que, sans ces autres axiomes que vous savez, nous ne pouvons plus étudier la géométrie. Mais les limites que l’homme est obligé de s’imposer à cause de la petitesse de son intelligence, à cause de l’étroitesse du canal par où passe le flot infini, ces limites, elles, sont contingentes, momentanées, humaines, conventionnelles, arbitraires ; elles dépendent des circonstances ; elles sont élevées ou abattues par ces intérêts mondains dont nous avons tant parlé ; elles peuvent se déplacer, s’élargir ou se restreindre. Quant à les abolir, jamais cela n’est possible, et ce fut votre erreur de croire le contraire, Cavalcanti : car, dès qu’elles n’existent plus, la raison humaine, privée d’appui, vacille, s’égare dans l’indéterminé, comprend de travers et demeure confondue. Haussez-vous jusqu’à ce point de vue supérieur, et vous verrez combien s’éclaircira pour vous le sombre mystère du monde et de l’histoire ! Pourquoi se déchaîne dans le monde, depuis ses plus lointains commencemens, et continuera de se déchaîner, sans jamais finir, la guerre des doctrines, des religions, des sectes, des principes, des idées, des civilisations, des législations, des classes, des Etats ? Pourquoi, dans chacun de ces interminables conflits qui embrasent le monde, les hommes se précipitent-ils les uns contre les autres, soit les armes à la main, soit l’injure aux lèvres, soit la haine au cœur, tous également convaincus d’avoir raison, d’être dans la vérité, de défendre la bonne cause ? D’où vient cette vieille « fièvre méditerranéenne » à laquelle Alverighi a eu l’illusion d’échapper en émigrant, cet éternel esprit de discorde entre des hommes qui, pourtant tous, partout et toujours, veulent les mêmes choses ? D’où naît l’immense malentendu de l’histoire, ce malentendu qui jamais ne se dissipera ? Comment se fait-il qu’un être pourvu de raison, comme l’homme, ne reconnaisse en un si grand nombre de questions aucun autre jugement que celui de l’épée ? Pourquoi la guerre est-elle le suprême arbitre des