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déprimante. Elle a pour premier résultat d’empêcher un garçon, pourtant laborieux et bien doué, de terminer ses études. Sébastien Réal n’a pu entrer à l’École centrale ; il est un peu moins qu’ingénieur, un peu plus qu’ouvrier mécanicien ; il graisse des machines et ne dîne pas tous les soirs : pour l’imagination d’une femme, ce n’est pas très excitant. Hélène Ardouin ne l’a pas choisi ; elle a pris celui qui s’est trouvé à portée de sa main, ce qui est, à peu de chose près, l’histoire de toutes les liaisons.

Une partie supérieurement traitée, dans la comédie de M. Capus, et qui en fait le charme, c’est la peinture de nos mœurs parisiennes, le « tableau de Paris » à la date de 1913. Hélène Ardouin, qui vit avec une vieille cousine, Mlle Messany, poursuit ce rêve de toute bourgeoise, principalement quand elle est dans une situation fausse : avoir des relations. Elle en aura : relations de raccroc, sans cohésion et sans choix, comme en font, au hasard d’une rencontre, les maîtresses de maison qui veulent absolument qu’on vienne chez elles. Il y a chez elle un député, habitué par métier à ne pas faire le difficile, un homme du monde, de ceux qu’on rencontre dans tous les mondes qui ne sont pas le monde, un industriel dont la femme est trop élégante ; il y a quelques dames dont chacune a son histoire, qui n’est peut-être pas une vilaine histoire, mais enfin qui est une histoire ; il y a surtout Cabaniès. Imprésario de théâtre et tenancier de tripot, lanceur d’artistes et d’affaires, Cabaniès est le type du Portugais qui est quelqu’un à Paris. Sujet à de soudaines disparitions, est-il exact qu’il ait fait de la prison ? Cela reste vague pour tout le monde et pour lui-même. « Aujourd’hui Cabaniès est un homme qui va nous montrer la Graza et dont tout Paris s’occupe : je ne connais que ça... » Ce n’est d’ailleurs ni un mauvais homme, ni tout à fait un malhonnête homme. Mélange de bonhomie et d’insolence, et doué à un degré éminent de cette ingénuité audacieuse ou de cette audace ingénue qui s’appelle inconscience, il figure à merveille, dans la galerie des originaux de ce temps, l’aigrefin à la mode d’aujourd’hui.

Un certain Barois, qui joue dans la pièce le rôle d’observateur narquois, nous fait les honneurs de ce Paris nouveau sur lequel il est mieux renseigné que quiconque, étant de province. « Mon vieux, pour des provinciaux comme nous, sais-tu ce qu’il y a de plus frappant à Paris, aujourd’hui ? C’est qu’il peut nous offrir des spectacles fabuleux, nous faire crier d’étonnement et d’admiration, mais qu’il est devenu incapable de nous émouvoir et de nous instruire. Il est trop tumultueux, trop fort. C’est une espèce de monstre. Il a perdu la